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trouvaient alors des délices particulières à violer toutes les défenses à la fois ; la bête relevait le défi de l’ange.

Cette force d’impulsion était encore accrue par les goûts macabres propres au moyen Âge et qui donnaient lieu à un autre genre de réaction. On se faisait un plaisir de promener les bacchanales dans les cimetières, non pas seulement parce que c’était défendu, mais encore à cause du caractère lugubre du lieu. Les veillées des morts étaient l’occasion d’orgies, de chansons et de fous rires. À l’Université même ces goûts prévalaient ; on se couronnait de feuillage ; on chantait des chants indécens et on s’enivrait dans les cimetières. Défense, dit Gautier de Chanteloup, évêque de Winchester, dans ses Constitutions, de se livrer à des « jeux déshonnêtes dans les cimetières, principalement les jours de têtes religieuses ou à la veillée des Saints ». Défense, dit le concile provincial d’Écosse de 1225, « de faire entendre des chœurs et des chansons aux funérailles des morts : les larmes d’autrui ne devraient pas être une occasion de rire ». Défense, dit l’Université d’Oxford au XIIIe siècle, de défiler en chantant dans les églises avec des déguisemens, des couronnes de fleurs et de feuillage.

L’année était coupée par des fêtes, et ces fêtes, dont l’importance dans l’existence de tous s’est atténuée depuis, faisaient alors époque ; on y pensait d’avance ; on les voyait de loin, dépassant les autres jours, comme les cathédrales dépassent les maisons. La vie ordinaire était arrêtée ; c’était le moment de grandes réjouissances soit religieuses, soit impies ; les unes et les autres contribuèrent au développement du théâtre, et se trouvèrent parfois intimement mêlées. C’est dans ces occasions surtout que la caricature et la dérision des choses saintes servaient à accroître l’amusement. Le temps de Noël avait hérité de la licence, comme il occupait la date des anciennes saturnales romaines, et si haut qu’on remonte ou si bas qu’on descende-dans tout le moyen âge, on trouve que la fête est solennisée en dévotions et en railleries, par des foules moqueuses et adorantes. Car l’un n’empochait pas l’autre ; on caricaturait l’Église, sa hiérarchie et son rituel, mais sans mettre en doute son infaillibilité ; on se moquait du diable et on en avait peur.

C’est ainsi que les scandaleuses fêtes des Fous, des Innocens et de l’Ane étaient égayées, dans les pays où on les célébrait, par de grotesques parodies des cérémonies pieuses. La tête des Innocens, qui eut une grande popularité en Angleterre, était présidée par un petit évêque, boy bishop, et ce prélat en miniature dirigeait, mitre en tête, dans l’église, les ébats des jeunes garnemens ses compagnons. Le roi s’intéressait à la cérémonie,