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Outre leurs tours et leurs culbutes, les mimes et jongleurs avaient, pour distraire leur auditoire, des reparties, des bons mots, des contes facétieux qu’ils jouaient plutôt qu’ils ne les débitaient, car ils les accompagnaient de gestes. D’autres excellaient dans les parodies et caricatures, pour lesquelles le moyen âge avait un goût invétéré. C’étaient des gargouilles vivantes ; on les payait,


… L’un pour faire l’ivre,
L’autre le chat, le tiers le sot.


Gestes, parodies, répliques, débits mimés n’étaient pas encore le drame, mais devaient y servir. Le blé et le pain ne sont pas la même chose, mais cela facilite beaucoup la confection du pain d’avoir du blé. La partie de ces amusemens qui se rapprochait le plus du drame, vives répliques, dialogues improvisés, est celle qui, naturellement, a laissé le moins de traces. Les voix se sont tues ; les grand’salles qui les entendirent ne sont plus que des ruines couvertes de lierre, aux échos muets. On peut cependant se représenter la chose par approximation. D’abord, on sait par des témoignages innombrables que ces histrions parlaient et contaient maintes sornettes. On les leur a assez reprochées pour que du moins on n’ait pas de doutes à ce sujet. Ensuite, on voit par divers fabliaux le goût très vif qui régnait au moyen âge pour les réponses taquines et embarrassantes, l’interrogateur restant à la fin roulé et embrouillé dans ses questions comme une mouche dans des fils d’araignée. Le fabliau du Jongleur d’Ely composé en Angleterre au XIIIe siècle donnera une idée du genre de ripostes auxquelles s’exerçaient les amuseurs de cette époque. Le roi ne peut tirer renseignement quelconque du jongleur. Quel est son nom ? Le nom de son père. À qui appartient-il ? À son seigneur. Comment s’appelle ce cours d’eau ? Il n’est pas besoin de l’appeler, il vient tout seul. Le roi veut acheter le cheval du poète ; le cheval mange-t-il bien ? « Oui, certes, beau doux sire, il mangerait plus d’avoine en un jour que vous ne feriez pas de toute la semaine. »

C’est là un simple échantillon d’une manière (débats, jeux-partis, etc.) qui se prêtait à toutes sortes de variantes.

La parodie conduisait de même par degrés vers le drame. On aimait se déguiser, imiter autrui, caricaturer un grave personnage, ou une cérémonie imposante, la messe par exemple, contrefaire le bruit des orages et le chant des animaux, ajoutant le geste au cri, au chant et à la parole. Aelred, abbé de Rievaulx en Angleterre, au XIIe siècle, donne à ce sujet des détails précis. Il décrit les libertés que prenaient les chantres dans certaines églises, libertés, gestes