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Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. »

Parce qu’il y a moins de manège dans la conduite des affaires publiques, est-ce à dire que le rôle de la diplomatie soit terminé ? Ce serait méconnaître sa véritable mission, et prendre pour les affaires d’Etat ce qui en est tout au plus la parodie. La diplomatie porte aujourd’hui la peine de ses fautes. Elle a si longtemps piétiné sur place, elle est demeurée si souvent étrangère aux grandes idées du siècle, enfin elle a été si fréquemment prise en flagrant délit d’imprévoyance, que le type du diplomate, cachant son néant sous la gravité des formes, a été livré aux risées de la foule. Mais l’esprit de finesse, les démarches obliques, la feinte profondeur, n’ont jamais servi que les petits hommes. Ce sont des bulles éphémères que le flot de l’histoire emporte pêle-mêle avec les débris des âges. Un Richelieu, un Frédéric, un Bonaparte, un Cavour, un Bismarck, n’avaient pas besoin de cacher leurs desseins. L’intrigue leur paraissait un instrument, non pas inutile, mais subalterne ; et la partie durable de leur œuvre reposait d’abord sur le discernement d’une grande cause ou d’une grande idée dont ils se faisaient les habiles serviteurs. Aussi longtemps qu’il faudra surveiller la marche des événemens, saisir les occasions, nouer des rapports et préparer des entreprises qui dépassent l’étroit horizon de la génération présente, contenir l’impatience des uns, affermir la confiance des autres, il y aura une diplomatie.

On peut même dire que, si elle n’a plus, comme autrefois, carte blanche, si chaque diplomate, pris à part, a moins d’initiative, la surveillance que ces agens exercent tous ensemble n’est ni moins difficile ni moins indispensable que par le passé. Sans doute, il était périlleux, jadis, de s’aventurer sur le terrain mouvant d’une cour : il fallait éviter les pièges et les chausse-trapes. Mais est-il plus aisé de conserver son sang-froid au milieu des clameurs de la presse de lutter contre ces émotions populaires qui gagnent si rapidement la rue et la tribune ? de jeter de l’eau froide sur les engouemens irréfléchis ou sur les colères plus généreuses que prudentes ? de dévorer sans mot dire les injures des démagogues, toujours prêts à lancer leur meute contre l’esprit chagrin qui contrecarre la passion du moment ? On dit : « Le télégraphe et le journal ont tué l’information diplomatique. » Ils la rendent au contraire absolument nécessaire pour rétablir la proportion des événemens. Le métier des journalistes est de tout grossir et de faire sensation ; le devoir du diplomate est d’amortir les chocs et de remettre la perspective au point. Le journaliste enfle sa voix, le diplomate modère la sienne. Le premier, comme son nom l’indique, vit de