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De l’autre côté ; des Alpes, le siècle assiste aux apparitions radieuses, coupées de brusques éclipses, de cette Italie si bien formée par la nature pour être le berceau d’une nation : sur ce sol privilégié, la montagne, et la plaine se marient dans une harmonie lumineuse ; les bailleurs modérées fleurissent en cités élégantes, pleines de souvenirs et de monumens augustes ; les passions les plus violentes se fondent en grâce et en beauté, de même que les murs sombres des vieux palais s’animent sous la caresse du ciel. Ce peuple a derrière lui vingt histoires différentes, tantôt enchevêtrées, tantôt parallèles, et il a greffé l’une sur l’autre quatre ou cinq civilisations. Sorti le premier du chaos, il a jeté d’abord sa sève dans l’épanouissement de la Renaissance ; puis il a payé cette maturité précoce par une sorte d’arrêt de développement. Pour n’avoir pas accepté la contrainte nationale qui unit, il a dû subir la domination étrangère qui divise. Mais il sait attendre : il a vu passer tant de choses sur la terre ! Sous le joug de ses maîtres changeans, il a déployé une dextérité supérieure, une rare faculté de combinaison, une ténacité qui cède au temps sans renoncer à son but, une philosophie portée à se dédommager des malheurs présens par la certitude d’un meilleur avenir. Comment pouvait-il désespérer, lorsque son caractère propre était imprimé sur le sol et sur la pierre en traits si forts et si durables ? lorsqu’un peuple de statues héroïques perpétuait dans le marbre le geste puissant des ancêtres et semblait veiller sur son tombeau jusqu’au jour de sa résurrection ? Combien d’Italiens, pendant les siècles d’abaissement, n’ont-ils pas contemplé la Nuit de Michel-Ange et sa formidable Aurore, en songeant que l’Italie pourrait, elle aussi, secouer son sommeil et soulever son buste vigoureux ? Aussi suffit-il d’un coup de vent. — que ce soit une campagne de Bonaparte ou quelque orage révolutionnaire, — pour balayer un instant la brume qui l’enveloppe et montrer au monde ébloui les lignes de ce corps parfait, ranimées par un souffle de liberté. Lorsque la nuée se reforme après 1815, on entrevoit l’Italie toujours vivante derrière le mensonge des apparences ; on la visite, on l’admire, on la plaint. Son réveil annoncé, prédit, ne surprendra personne, elle-même moins que tout autre. L’Europe, en lui tendant la main, ne fait à ses yeux qu’acquitter une ancienne dette. À la fois souple et passionnée, elle conservera son double caractère, adroite à saisir et à suivre son intérêt sur la scène compliquée du monde, grave et vraiment romaine lorsqu’elle se recueille dans la contemplation de ses grands souvenirs. C’est ainsi que, dans les fondemens de l’édifice qu’elle habite, à travers le badigeon contemporain, derrière la façade