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annonçait le prochain dépôt à la Chambre, et qui ont pour but de modifier la législation sur la presse, en permettant l’arrestation préventive des individus coupables, non seulement de provocation, mais aussi d’apologie des crimes de droit commun, et en donnant aux parquets le pouvoir de saisir les exemplaires constituant le délit, ces projets de loi sont en vérité la moindre des armes qu’il convient de mettre, en France, aux mains des représentans de l’ordre public.

Depuis quelques semaines l’anarchisme, qui tenait le 13 novembre ses assises à Londres, dans Trafalgar-square, en un meeting où il célébrait l’anniversaire du « dimanche sanglant », c’est-à-dire de la répression nécessaire des troubles que l’agitation anti-sociale avait amenée il y a six ans, déployait solennellement son drapeau en Amérique, dans un congrès international, à Chicago. Les conseils qu’avaient donnés les orateurs du parti recevaient presque aussitôt un commencement d’exécution par l’assassinat du maire de Chicago, puis par des tentatives, heureusement réprimées, de meurtre sur la personne du gouverneur de l’Indiana et d’explosion de dynamite du monastère de franciscains de Patterson (New-Jersey).

Et tandis qu’à Londres un anarchiste brisait la devanture d’un bijoutier d’Oxford-street, alléguant « qu’il lui était loisible de prendre ce qui lui manquait là où il le trouvait » ; pendant qu’à New-York un adopte des mêmes idées tirait des coups de revolver dans les fenêtres du restaurant à la mode Delmonico, en criant : « À bas les riches ! », à Paris, un des congénères de ce dernier frappait, dans un simple bouillon Duval, d’un coup de couteau qui faillit être mortel, le ministre de Serbie, sans le connaître et uniquement pour l’honneur de tuer un « bourgeois » ; sa victime n’étant pas autrement désignée à son choix que par le port d’une décoration à la boutonnière ; à Marseille, à quelques jours de distance, une marmite chargée de dynamite faisait explosion devant la porte du commandant de corps d’armée ; et l’Espagne, encore tout émue de la catastrophe, accidentelle celle-ci, de Santander, était terrifiée par l’horrible attentat de Barcelone : deux bombes jetées dans une représentation de gala, au théâtre du Liceo, au milieu des fauteuils d’orchestre, tuant quinze personnes en une seconde, sans compter un grand nombre de blessés qui moururent les jours suivans.

Qu’il se soit trouvé des voix pour légitimer de pareilles abominations et des journaux pour y applaudir, voilà qui relève uniquement des tribunaux, et l’on a droit de s’étonner que le gouvernement, qui a su, au commencement de cette année, concevoir, rédiger et faire voter par les Chambres, en quelques jours, une loi, d’ailleurs fort opportune, contre les propagateurs de fausses nouvelles relatives aux caisses d’épargne, laisse aujourd’hui si bénévolement discourir des énergumènes comme ceux de la réunion anarchiste de Saint-Ouen, qui ont