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l’évolution d’une action, d’une intrigue, plutôt que dans l’étude des passions et des caractères. Dès le début d’Œdipe-Roi, nous connaissons l’horrible secret et nous savons que le héros aussi finira par le découvrir. Sur la préparation et la gradation, les péripéties et enfin l’événement de cette découverte porte le génie du poète et la curiosité ou l’angoisse du spectateur. D’Antigone au contraire le point central n’est plus un fait ; c’est une âme. Nous ne voyons plus comment quelque chose arrive, mais comment et surtout pourquoi quelqu’un agit. De là dans notre plaisir, ou mieux dans notre émotion, je ne sais quoi, sinon de plus intense, au moins de plus haut, et encore une fois de plus pur.

Un double sentiment, piété et pitié, remplit le cœur d’Antigone, et de ce sentiment il semble que tout le monde n’ait pas été l’autre jour également touché. Il est des juges, et des plus délicats, qui ont trouvé l’œuvre un peu froide, nous entretenant de choses qui ne sauraient plus, ont-ils dit, émouvoir des modernes et des chrétiens ; de superstitions funèbres, de rites matériels auxquels notre croyance épurée est devenue indifférente. C’est là mal comprendre l’esprit de l’époque, de l’œuvre, et l’âme profonde, autant qu’exquise, de l’héroïne. Rien au contraire de moins étroitement païen qu’Antigone, rien de plus général, de plus éternel ; rien qui nous demande moins, pour être admis et admiré, de sortir de nous-mêmes, et de nous faire, comme on l’a dit encore injustement, « une raison sur le modèle de la déraison antique. » Il ne s’agit point ici de stériles cérémonies, de formalités vaines. Antigone ne donne pas sa vie pour l’accomplissement d’un rite inutile, mais d’un devoir efficace ; ce qu’elle veut, ce n’est pas, ou ce n’est pas seulement le corps fraternel honoré, c’est l’âme fraternelle heureuse. Heureuse ou du moins tranquille, car dans la religion hellénique le rêve d’outre-tombe paraît bien s’être contenté de la paix, sans prétendre à la félicité. Comme les Égyptiens, les Grecs ont cru d’abord à une autre vie après la mort, sous la terre ; les honneurs funèbres étaient la condition expresse de cette existence souterraine, un peu vide, un peu terne sans doute, exempte de souffrance plutôt que comblée de joie, mais assez désirable encore pour qu’Antigone, à tout prix, en veuille assurer à son frère ne fût-ce que le triste bienfait et la pâle douceur. La vierge fraternelle ne meurt donc pas martyre de la superstition matérielle, mais de la pure croyance, et d’une piété qui veut donner à l’être aimé, par-delà le trépas, ce qu’elle conçoit, ce qu’elle espère de bonheur. Et si cela est peu de chose encore, une lueur à peine, si depuis les temps helléniques, le stoïcisme d’abord et puis et, surtout le christianisme, ont élevé l’idéal de l’éternelle béatitude, de l’idéal ancien quelque chose est demeuré pourtant, et pour ses fidèles défunts l’Église demande toujours et avant tout requiem, le repos.

La piété d’Antigone est pitié aussi et par là encore nous touche. À