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pestiférés. Ces deux manières ont été rejetées unanimement, comme contraires à l’humanité et à la charité. Par les lettres qui ont été lues on a vu qu’à Marseille, dès que M. de Langeron a eu fait ouvrir les maisons et les boutiques, la peste a beaucoup diminué, et a enfin cessé, et qu’à Toulon, au contraire, où l’on a muré les maisons, on y meurt partout de désespoir et de misère. Il a donc été résolu que les pestiférés devaient être traités dans leurs maisons comme on traite des malades de lièvre maligne et de petite vérole : qu’on ne conduirait aux hôpitaux que ceux qui le désireraient ou qui ne pourraient pas être en état d’être traités chez eux, et que les personnes non attaquées de peste, mais demeurant dans les maisons où il y en aurait, pourraient communiquer avec les autres sans quarantaine, en se faisant seulement parfumer. Au surplus, le commerce ne sera point interrompu. Les boutiques et églises seront ouvertes, et cela a paru le seul moyen de conserver la santé avec la charité et l’amitié entre les hommes. Le résultat a été dressé et refait à cinq ou six fois, et on a été depuis 3 heures jusqu’à 8 heures à cette assemblée, digne des soins d’un Roi. M. Burette, médecin de la Faculté, professeur royal et de l’Académie des sciences, qui en était, m’a rapporté tout ce détail et m’a dit qu’il était mort beaucoup plus de gens de misère et de faim que de la peste. Sur ce résultat il y a eu un conseil du Régent, du Chancelier, de M. Amelot, chef du commerce, du premier médecin et de Chirac, et les ordres ont été envoyés en conformité en Provence. »


Ces détails sur la peste qui désola Marseille en 1720 expliquent, sans les justifier, toutes les mesures prises à cette époque et presque jusqu’à nos jours. Il était interdit, sous peine de mort, de porter secours à des naufragés partis de lieux mis à l’index par l’intendance sanitaire. Dans la relation d’un fait observé en 1784 au lazaret de Marseille, nous lisons que le malade ne peut se rendre de sa chambre à la grille intérieure de l’enclos Saint-Roch pour être vu de loin par les hommes de l’art. Dans une autre relation de 1786, il est dit que le malade est trop faible pour venir à la barrière de fer. Le bubon fait des progrès, le délire persiste ; le malade paraît avoir pris les boissons déposées auprès de lui.

M. Michel Laroche, médecin, ne voyant pas le malade, mais étant renseigné par le garde de santé, dit, dans le certificat qu’il adresse à l’intendance, que, les secours ne pouvant être administrés aux pestiférés que par les fenêtres et à l’aide de machines, celui-ci n’a ni assez de connaissance ni assez de forces pour se suffire dans sa chambre. « Nous prions, ajoute-t-il, l’intendance