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diverses fièvres éruptives est réelle ; et s’il est souvent impossible, faute de documens précis, d’en donner une démonstration tout à fait positive en comparant les épidémies anciennes aux modernes, cette influence ressort de leur étude générale.

La variole ne paraît avoir régné ni chez les Grecs ni chez les Romains ; ceux qui ont cru en trouver la description dans quelques passages d’Hippocrate ou de Galien se sont laissé tromper par de fausses analogies. En revanche, elle semble avoir existé de temps immémorial en Chine et dans les Indes ; d’après Moore, les annales de ces pays en feraient mention 1200 ans déjà avant J.-C. Ce fut au VIe siècle de notre ère qu’elle fit son apparition en Europe, importée par les Sarrasins, qui la tenaient sans doute eux-mêmes de source égyptienne ou abyssine.

La première description où elle soit nettement reconnaissable est due à Grégoire de Tours, qui l’observa dans les Gaules et la désigne sous les noms de lues cum vesicis, pustula, pustulæ : il n’a garde de la confondre avec sa contemporaine la peste ou morbus inguinarius.

La variole, à partir de ce moment, prit pied définitivement en Europe. Les croisades contribuèrent beaucoup à la propager ; les médecins arabes, Rhazès entre autres, en donnèrent d’excellentes descriptions et la firent entrer définitivement dans le cadre nosologique.

« Une fois implantée à la surface du globe, la variole, dit J. Franck, a causé de plus grands ravages que la peste. »

Au XVIIe siècle et au commencement du XVIIIe, elle avait pris les proportions d’une véritable calamité publique. Toute la descendance directe de Louis XIV (un enfant de cinq ans qui fut plus tard Louis XV excepté, qui devait ensuite y succomber lui-même) disparut dans un court espace de temps, et il faut lire les mémoires contemporains, ceux de Saint-Simon par exemple, pour se rendre compte de la terreur qu’inspirait cette maladie.

Dans les pays où elle faisait apparition pour la première fois, et qui étaient vierges jusque-là d’infection variolique, les ravages étaient plus grands encore. Lorsque la variole fut importée au Mexique par les compagnons de Narvaës, il mourut 3 millions et demi d’habitans, et il en périt encore 800 000 dans une autre éruption qui eut lieu quelque temps après. Plus que les cruautés des Espagnols et de l’Inquisition, plus que l’eau-de-vie et l’invasion anglo-saxonne, la variole a contribué à la destruction des populations indigènes des deux Amériques.

Jamais, dans les conditions actuelles, la variole n’apparaît spontanément. Quand elle a été importée, sa marche a été en rapport avec le plus ou moins de rapidité des voies de communication