Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/648

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obéissent cependant aux lois ordinaires qui régissent la transmission des maladies.

Il n’y a pas longtemps qu’Anglada affirmait encore la profonde séparation à établir entre les grandes et les petites épidémies.

« Les grandes épidémies, disait-il, naissent par les seules forces de la nature. Aucune puissance humaine ne peut en préparer ni en conjurer l’explosion. Comme les anges exterminateurs des Livres Saints, elles s’abattent, quand l’heure a sonné, sur les réunions d’hommes et couchent dans la tombe des générations entières. Apparitions intermittentes à long terme, invasions soudaines, étiologie ignorée et sans rapport appréciable avec les causes communes, domination universelle, léthalité rebelle à tous les efforts de l’art, spécificité profonde, aspect d’une étrangeté sans analogue parmi les maladies connues : tels sont les caractères des grandes épidémies. »

Littré, peu suspect de mysticisme, s’exprimait ainsi :

« Les maladies pestilentielles n’ont pas leur origine dans des circonstances que l’homme puisse provoquer. Là tout est invisible, mystérieux, tout est produit par des puissances dont les effets seuls se révèlent. »

Les idées qui vont être développées dans les pages qui suivent sont contraires aux opinions d’Anglada et de Littré.

Si nos connaissances, en effet, ne sont pas encore absolument complètes sur l’étiologie et la marche des épidémies, cependant la science moderne, grâce surtout au génie de Pasteur, en les dépouillant du voile mystérieux qui les entourait, a établi certaines lois qui nous permettent d’en prévoir les routes et d’en arrêter le développement.

Toutes les fois que l’industrie humaine perfectionne ou abrège les voies de communication, les épidémies en bénéficient, délaissent les routes trop lentes, et prennent avec l’homme les voies les plus rapides. C’est là une doctrine dont les effets dépassent le domaine de la théorie. L’opinion que l’on doit se faire de la marche des épidémies entraîne des conséquences pratiques. Avec Anglada, l’autorité sanitaire n’a qu’à suivre passivement l’évolution des maladies pestilentielles en se croisant pour ainsi dire les bras. En tenant compte de l’opinion que nous soutenons, l’hygiéniste peut intervenir. Rien n’établit mieux d’ailleurs l’action directe et énergique qu’exercent sur le développement des maladies infectieuses et contagieuses l’hygiène et tous les auxiliaires dont elle dispose, que l’histoire, même de ces maladies, de celles surtout qui après avoir affligé l’humanité ont finalement cédé devant les progrès du bien-être et de la civilisation.

La peste, la grande maladie populaire de l’antiquité et du