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passage du Saint-Bernard est bien modeste. Mais dans cette région de montagnes gigantesques, près desquelles les Alpes ne sont pour ainsi dire que de simples collines, un col de 12 000 pieds est relativement très peu élevé. Celui-ci est presque de plain-pied avec le fond des vallées voisines. De son débouché méridional, un agresseur venu du nord pourrait, sans franchir aucun nouveau col, arriver jusqu’à l’Indus. Il suffirait pour cela de descendre la vallée du Yarkoun pendant toute la traversée du Kafiristan, c’est-à-dire pendant un peu plus de 400 kilomètres, jusqu’à la rivière Kaboul, dans laquelle se jette ce cours d’eau ; puis de là on déboucherait dans l’Inde par les défilés de Peschaour. Mais cette route serait longue et indirecte ; en outre, elle présente plusieurs passages difficiles et étroits, faciles à défendre. Il en existe une autre : en face du col de Baroghil, une deuxième passe, celle de Darkoth, donne directement accès des sources du Yarkoun dans la haute vallée de l’Indus, par la rivière de Guilguit. L’altitude de ce col est, comme pour celui de Baroghil, de 12 000 pieds, entre deux vallées dont les fonds se trouvent déjà à plus de 10 000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Ce système des passes de Baroghil et de Darkoth constitue la principale route stratégique, mais non la seule, qui, du haut Oxus, permette de franchir l’Hindou-Kouch et de descendre dans les Indes. Elle est flanquée de trois autres passes plus hautes, plus difficiles, peu pratiquées par les indigènes eux-mêmes et à peu près inconnues même des géographes. Elles sont praticables pourtant : ce sont les cols de Karambar, de Kilik et de Yanali. Les deux premiers, partant du fond même de la vallée de la rivière Hounza, mettent directement en communication les sources de l’Ak-sou avec le Khondjout, c’est-à-dire la vallée de l’Oxus avec celle de l’Indus. Le dernier col, plus à l’ouest, fait communiquer la vallée du Pendj avec le Tchitral.

On voit ainsi, à peu près, d’une façon très sommaire, quelles peuvent être, à travers cette région inaccessible, les routes des invasions, et quels sont les points principaux qu’il est nécessaire de défendre ou de garder de part et d’autre.


VI

Tous ces détails topographiques, assez arides et relatifs à des pays barbares, pourront sembler bien minutieux et d’un intérêt bien local, et leur étude pourrait, à la rigueur, être considérée comme superflue pour les européens, si le litige était, comme il peut sembler à première vue, limité à la question, déjà importante, du tracé de la future frontière stratégique entre les Indes