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Souverain d’une population guerrière, la plus brave de l’Asie après les Turkmènes, et très supérieure en nombre à ceux-ci, car elle compte quatre millions d’habitans, Abd-ur-Rahman, s’il n’avait eu pour voisine la Grande-Bretagne, aurait peut-être renouvelé les exploits des Gaznévides et conquis la Perse avec une partie de l’Inde. Tenu en échec sur presque toutes ses frontières par la politique européenne, il s’en dédommageait en guerroyant de son mieux contre les habitans des seules régions qui lui restaient ouvertes, c’est-à-dire contre ses voisins du nord-est, les chefs des petites principautés du Pamir.

Cette politique des Anglais avait un double avantage : n’avant eux-mêmes aucun droit sur les petits États dont il s’agit, ils s’en créaient, indirectement en encourageant des complications gouvernementales entre ceux-ci et les deux royaumes sur lesquels ils pouvaient espérer, à un moment donné, faire valoir des droits de suzeraineté indiscutables. Aussi l’Angleterre aurait-elle probablement continué cette politique jusqu’à la complète disparition de ses petites principautés limitrophes du grand massif montagneux de l’Asie centrale, si la Russie ne l’avait forcée à changer de-méthode par la première expédition du colonel Yonoff et par l’affirmation de ses droits de souveraineté sur le Pamir.

À ce moment, deux petits États seulement restaient encore indépendans : le Khondjout, comprenant le bassin de la rivière Hounza, affluent de l’Indus, à l’extrémité septentrionale du bassin de ce fleuve, au nord du Kachmir, et le Kafiristan, plus important, située au nord-est de l’Afghanistan, entre ce royaume et celui de Kachmir. Le premier de ces deux petits États, dont l’Inde, la Chine et la Russie convoitaient la suzeraineté, était gouverné par un souverain brigand, régnant lui-même sur une population de brigands, Saïder-Ali-Khan, consolidé sur le trône par l’assassinat de son père ; quant au Kafiristan, comprenant, comme nous l’avons dit. la longue vallée du Yarkoun, affluent du Kaboul, qui lui-même se jette dans l’Indus, il obéissait à un autre brigand, le mehtar ou meztar de Tchitral, Amman-ould-Moulk, qui dans les dernières années, avait beaucoup accru son importance en annexant à ses possessions, au prix d’assassinats compliqués et nombreux, celles de ses voisins, les mehtars de Mastoudj, du Drassoune et du Yassine ; cette dernière principauté consistait en une vallée annexe de celle du Khondjout, et débouchant dans le thalweg de l’Indus par une gorge qui est l’entrée unique de ces deux pays, le défilé de Guilguit. C’est ce même Amman-ould-Moulk qui, en 1870, avait fait assassiner, près de Sarhad, l’explorateur anglais Hayward. Entre le Kafiristan et l’Inde, des tribus guerrières et encore