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conquérans anglo-saxons, ses protecteurs et ses maîtres déguisés, n’a été dans cette circonstance que leur agent et leur prête-nom, ou du moins le défenseur, peut-être inconscient, de leurs intérêts. Les Afghans ont remonté peu à peu les hautes vallées de l’Oxus et de ses affluens, et ils ont annexé successivement les petites principautés plus ou moins indépendantes et vassales les unes des autres qui occupaient ces différentes vallées, le Badakchan, le Ouakhan, le Chougnan, le Rochan. La conquête de ces deux derniers pays date de 1883. En 1890, leurs prétentions s’étendaient à tout le Pamir, c’est-à-dire à toute la région géographique de grande altitude que nous avons définie sous ce nom collectif, et ils menaçaient même, sur le versant sud-est de cette vaste forteresse naturelle, c’est-à-dire dans le bassin du haut Indus, le Kafiristan, ou vallée du Yarkoun. En 1889 et en 1890 le capitaine Groumbtchevsky, l’explorateur russe, — on pourrait dire le champion russe, — dans la région, s’est constamment heurté, dans les diverses vallées qu’il a reconnues, aux avant-postes afghans, et, n’étant pas outillé pour la lutte, mais pour un simple voyage scientifique, doublé, il est vrai, ainsi que le comprennent les Russes, d’une très sérieuse reconnaissance militaire, il a dû constamment battre en retraite, en traversant à diverses reprises, pour passer d’une vallée dans une autre, des lignes de faîte extrêmement élevées et de l’accès le plus difficile.

En donnant un extrait de notre journal de route, nous aurons l’occasion de raconter notre rencontre et nos relations personnelles avec cet énergique et remarquable explorateur, devenu depuis lors colonel et chef du district d’Och, le plus avancé et le plus important du Ferganah au point de vue stratégique.

Les Afghans avançant toujours, il y eut à diverses reprises contact entre eux et les avant-postes chinois, et des pourparlers étaient engagés au sujet d’une délimitation à faire sur le Pamir entre l’Afghanistan et la Chine, pourparlers auxquels était venu se mêler, comme principal intéressé, le gouvernement indien, ou plus exactement le royaume de Kachmir, vassal et partie intégrante de l’Empire indien, lorsque, au printemps de 1891, la Russie se résolut à rentrer officiellement en lice sur le Pamir et à y imposer, par une action militaire, son arbitrage et sa volonté. Déjà, l’année précédente, pendant les pourparlers préliminaires entre l’Afghanistan, la Chine et l’Inde, un homme d’Etat russe avait prononcé cette phrase : « Ces trois puissances peuvent se partager le Pamir comme elles l’entendront ; peu nous importe qu’elles décident si telle ou telle partie doit aller à l’une ou l’autre d’entre elles : il est et il restera tout entier chez nous. » Dès la fin de 1890,