Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/579

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du crédit, elle a ouvert des couches nouvelles, les plus profondes et les plus nombreuses, aux opérations de prêts, d’escompte et, d’une façon générale, à toutes les méthodes de banque. Même dans l’industrie, la coopération sous la forme des sociétés de production peut mentionner en sa faveur des succès dont quelques-uns sont éclatans, la filature de coton de Rochdale, l’association des lunetiers de Paris et nombre d’autres.

Si nombreux soient les services qu’elles ont rendus et ceux qu’on en attend, il n’y a, toutefois, dans la coopération qu’un procédé utile dans beaucoup de cas, et non un principe social rénovateur, Pour tous ceux qui étudient avec attention et impartialité les nombreuses expériences du dernier demi-siècle, il est constant que la vertu coopérative, pour chaque organisme coopératif constitué, s’atténue avec le temps et le succès, et finit par s’épuiser complètement. La coopération est une organisation de transition. Aux plus grandes associations de consommât ion d’Angleterre, déjà anciennes, en plein développement et longtemps citées comme modèles, les Magasins de l’armée et de la marine et les Magasins du service civil, un ardent coopérateur, M. Charles Gide, reproche d’être « organisés d’une façon fort incorrecte au point de vue des principes coopératifs. » On en pourrait dire autant de la plupart des sociétés actuelles de consommation en Angleterre, lesquelles n’admettent même pas leurs employés au partage des bénéfices ni au droit de vote dans les affaires sociales.

Les associations de crédit fondées par Schulze-Delitzsch, et qui ont maintenant quarante à cinquante années d’existence, sont, elles aussi, l’objet des plus vives critiques de la part des apôtres de la coopération, comme M. Henry Wolff et beaucoup d’autres. On soutient qu’elles ne sont plus, pour la plupart, que des sociétés anonymes pures et simples, se livrant à la spéculation, affrontant sans hésitation de gros risques et recherchant à tout prix les hauts dividendes.

Quant aux sociétés de production, les exemples des bijoutiers en doré et des lunetiers en France, de la filature de Rochdale, des filatures d’Oldham et de la plupart, des associations coopératives étudiées et décrites par miss Beatrix Potter en Angleterre, prouvent qu’au fur et à mesure qu’elles s’éloignent de la ferveur des débuts, ces sociétés tendent aussi, surtout le succès venant, à se transformer en de simples associations de capitaux.

Ceux qui attendent de la coopération une rénovation sociale générale sont donc dans l’erreur ; l’expérience est sur ce point très probante.

De l’étude attentive du mouvement coopératif sous ses diverses