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les fait se transformer, dégénérer si l’on veut, en pures sociétés de capitaux.

En face des associations coopératives ayant une origine vraiment populaire et ouvrière, on peut placer des organisations recommandantes, faisant grand honneur à leurs fondateurs, mais que l’on doit placer, au moins en ce qui concerne leur naissance et leur développement, parmi les pseudo-sociétés coopératives : ce sont les maisons fondées par un patron philanthrope, étant arrivées à la prospérité par une direction unitaire et capitalistique, si nous pouvons ainsi parler, et qui, à un certain moment, par la générosité de leur fondateur et l’abandon d’une partie de ses droits, ont revêtu une certaine forme que l’on a assimilée à tort à la forme coopérative. On peut en citer quelques-unes en France : les maisons Leclaire, Laroche-Joubert, Godin. Il est clair qu’il ne peut s’agir ici de coopération à proprement parler : ces sociétés sont nées et ont grandi sous la direction d’un patron ; elles conservent encore, dans beaucoup de clauses de leur organisation, l’empreinte des volontés de leur fondateur ; le temps seulement, un quart de siècle tout au moins, ou même un demi-siècle, sous le régime d’administration collective, pourra démontrer si elles possèdent une vertu propre ; elles sont des exemples de bienfaisance, de désintéressement patronal, non de créations coopératives.

Quelques mots au sujet de certains établissemens si connus suffiront. La maison de peinture en bâtiment Leclaire date d’avant 1830 ; la participation aux bénéfices y a été introduite en 1840 ; elle vécut sous le régime du patronat individuel jusqu’en 1869 ; son fondateur, M. Leclaire, la transforma alors en société en commandite : elle a gardé ce caractère depuis la mort de M. Leclaire en 1872 ; elle a deux gérans qui doivent posséder la moitié du capital et qui sont indéfiniment responsables des pertes ; elle possède en outre un conseil, appelé noyau, qui, en 1877, comptait 131 membres sur plus de 700 ouvriers employés. Tous ces derniers sont admis à la participation aux bénéfices. L’organisation de cette maison est très remarquable, mais on ne peut vraiment la classer parmi les sociétés coopératives. La loi même récemment votée par la Chambre des députés lui refuserait ce titre, ne serait-ce qu’à cause de la concentration de la moitié des actions dans les mains de deux gérans irrévocables.

La maison de quincaillerie Godin fut créée sous le régime du patronal individuel en 1840, et dotée par la libéralité de son chef de diverses institutions remarquables, dont l’une, qui date de 1860, est connue sous le nom de Familistère. M. Godin y