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Si les sociétés coopératives de production de la première classe s’éloignent, comme on l’a vu, de la pure théorie coopérative, l’écart est naturellement bien plus sensible pour les autres. Dans la classe II, miss Potter range quatre sociétés qui se sont imposé un gérant ou un comité irrévocable : il est clair que cette clause, qui peut être très prudente, constitue une déviation considérable de l’idéal coopératif[1]. La classe III comprend les associations de petits patrons, associations of small masters, dont il a déjà été question, et que miss Potter note défavorablement : sur 1 240 ouvriers occupés d’une façon permanente et dans l’atelier, 330 seulement sont actionnaires ; en outre, beaucoup d’ouvriers, non actionnaires non plus, sont occupés à domicile ou occasionnellement. La classe IV comprend treize sociétés, employant 1 274 ouvriers, dont 455 sont actionnaires : à ce point de vue cette classe semblerait supérieure à la précédente ; mais elle lui est inférieure et s’éloigne considérablement du type coopératif par cette autre circonstance : les ouvriers, quoique actionnaires, ne peuvent pas en général faire partie du comité d’administration, are disqualified from acting as directors, et il n’y a pas d’exemple qu’aucun ouvrier fasse partie du conseil de direction, de sorte que dans ces associations tout le pouvoir est dans les mains de non-ouvriers[2].

La conclusion qui ressort naturellement de cette enquête a été formulée par le président du Congrès coopératif de 1891, dans son adresse inaugurale, M. A.-H. Dyke Acland, membre du Parlement : « L’idéal de la société coopérative de production, où tout le capital est possédé par les ouvriers, est considéré comme une impossibilité, sauf dans des cas très rares. »

D’une part, on ne trouve pas assez d’ouvriers capables d’efforts et de sacrifices pour pouvoir les associer tous ; d’autre part, ceux des ouvriers qui se sont élevés par l’épargne et par leur habileté arrivent à dépouiller les sentimens purement fraternels, à vouloir garder pour eux les bénéfices et à enlever à la société, au fur et à mesure qu’elle progresse et réussit, le caractère coopératif qu’elle avait à l’origine.

Des sociétés coopératives de production peuvent certainement se constituer, parvenir à la prospérité ; mais cette prospérité même

  1. Nous devons dire que, dans ces derniers temps, en France même, les coopérateurs sont arrivés à demander que « dans les associations coopératives de production » le directeur fût « nommé, sinon à vie, ce qui sentit le mieux, du moins pour de longues durées. » Qu’entend-on par ces mots « longues durées ? » C’est une période de quatorze à vingt et un ans. C’est là une conception tout à fait césarienne de la coopération ; ce serait transformer les sociétés coopératives en de véritables autocraties. (Voir le journal l’Émancipation, du 15 novembre 1893, pages 162 et 163.)
  2. Miss Potter, citée par Schloss, p. 228 à 230.