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le caractère passé et le caractère présent des associations de production britanniques.

En tête de ces associations, viennent les célèbres « Equitables Pionniers de Rochdale », qui, dix ans après la fondation de leur magasin coopératif, créèrent, en 1854, une filature de coton coopérative. Grâce, sans doute, à l’énergie des hommes d’élite qui constituaient le noyau de cette association, l’entreprise réussit à souhait ; mais précisément le succès lui fit perdre son caractère coopératif. Elle est devenue une société de capitaux ; bien plus, après avoir admis pendant quelques années les ouvriers à une participation aux bénéfices, elle est revenue sur cette concession et n’occupe plus que des salariés purs et simples[1]. Ainsi, au berceau même de la coopération britannique et dans les mains de ce groupe fameux, les Equitables Pionniers, l’association coopérative de production s’est transformée en une société anonyme vulgaire : la forme coopérative n’a été maintenue que pour la branche concernant les magasins de consommation.

Cette caractéristique déviation de l’esprit coopératif à Rochdale même est peu connue. Les ardens coopérateurs font le silence sur elle. Nous avons sous les yeux la traduction française de l’Histoire de la coopération à Rochdale par G.-I. Holyoake, un des principaux apôtres du principe coopératif : cette traduction date de 1888 ; on s’y étend en détails nombreux sur l’organisation des magasins de vente des Equitables Pionniers ; mais il n’y est rien dit de la Filature de coton coopérative, transformée, après succès[2], en société de capitaux pure et simple et retirant aux ouvriers la participation aux bénéfices.

Eût-il isolé, cet exemple, dans la ville sainte de la coopération, et de la part de tels hommes, serait typique. Mais, loin de constituer une exception, la dégénérescence de la société coopérative de production en société de capitaux vulgaire est en Angleterre le cas normal.

En premier lieu s’offrent à nous les compagnies détenant les 90 fiatures dites coopératives d’Oldham, lesquelles sont au capital de plus de 8 millions sterling ou 200 millions de francs, divisées en action de 1 livre à 10 livres (25 à 250 francs). Beaucoup de ces compagnies furent effectivement fondées par des ouvriers, et plusieurs milliers d’ouvriers en sont encore actionnaires. Ces sociétés ont gardé pour la plupart, dans leur administration théorique, des restes de leur origine : ainsi la règle « un suffrage par tête », one man, one vote. Miss Potter, ayant

  1. Schloss, Methods of Industrial Remuneration, page 214.
  2. Le chiffre d’affaires de cette filature s’est élevé, en 1890, à 191 928 livres sterling, 5 millions en chiffres ronds.