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ouvriers soient tentés de se les approprier ; ils rentrent ainsi dans leur bien, pensent-ils. Quand les Coopérateurs de Rochdale, après leur premier succès dans la coopération de consommation, résolurent, en 1854, de fonder une filature de coton coopérative, ils déclarèrent : « L’objet de la Société Coopérative manufacturière de Rochdale est de combiner des arrangemens par lesquels ses membres puissent recueillir les profits résultant de l’emploi de leur propre capital et de leur travail. »

Suivant l’expression du secrétaire de la Co-operative Union, M. J. C. Gray, « le travailleur doit être élevé à la situation d’associé (partner) et de participant aux profits (profitsharer), au lieu d’être la machine louée du capitaliste et du consommateur. »

Dans cette conception naïve de l’industrie, qui veut que les bénéfices naissent naturellement de l’emploi du capital et du travail comme les fruits naissent de l’arbre, la seule difficulté que les promoteurs du plan crussent avoir à surmonter, c’était le manque de capital. Elle leur semblait de celles dont on peut venir à bout. En formant par l’épargne un premier fonds, il est possible d’emprunter du capital à un intérêt fixe. Le capital prendrait ainsi désormais la place du travail ; il serait un salarié, n’ayant droit qu’à une rémunération fixe, généralement à la portion congrue ; il serait aussi un subordonné. Les termes actuels de l’organisation industrielle seraient renversés ; les ouvriers dirigeraient par eux-mêmes ou par leurs délégués révocables les entreprises ; ils en encaisseraient tous les profits ; le capital serait l’élément subalterne auquel on ne donnerait qu’une rémunération fixe, juste suffisante pour qu’il consentît à se prêter. Mais si le système se généralisait, comme le capital, n’ayant plus la conduite des affaires, ne pourrait plus prétendre aux bénéfices, il serait amené, sous peine de ne rien rapporter, à se prêter à des taux de plus en plus bas.

Telle est la conception. S’ensuit-il que, sous le régime de la coopération de production, tout le système des salaires soit abandonné, comme le dit M. David F. Schloss, et qu’il doive y avoir une complète substitution des profits aux salaires pour la rémunération des travailleurs[1] ? Nous ne pensons pas que telle soit la conception des ouvriers. Ils prétendent à la fois aux salaires et aux profits : ils ne pourraient pas, d’ailleurs, attendre soit la répartition annuelle de ceux-ci, soit même la répartition trimestrielle qui, un peu imprudemment, est en usage en Angleterre pour les sociétés coopératives. Les salaires leur sont nécessaires ; ils leur donnent une autre cause et les considèrent sous un autre aspect ;

  1. Methods of industrial Remuneration, p. 200 et 201.