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considération, sauf le caractère personnel et l’emploi même de la somme empruntée ; il n’admettait pas les longs crédits. Il copiait les sociétés anonymes, et finalement les associations qu’il a fondées tendent à nôtre plus que de simples banques par actions, ne différant pas par leur objet et leur constitution des banques ordinaires.

Chez Raiffeisen, au contraire, on ne se préoccupe que de distribuer le crédit au plus bas prix possible, de l’assurer au plus pauvre s’il est honnête ; on ne prend pas cure des dividendes : on les supprime ou on les réduit, à un chiffre intime ; on constitue une réserve qui est indistribuable ; tous les services sont gratuits. Les administrateurs des banques coopératives, dit-on, doivent avoir la conscience libre de toute préoccupation personnelle. Les sociétés coopératives ne sont pas une affaire, mais une œuvre. Il faut se garder de l’excès de gains. Aussi n’hésite-t-on pas à déclarer que le système Raiffeisen constitue « une plus pure conception des principes coopératifs[1]. »

Il nous est impossible de l’admettre. Très méritoire à coup sûr est le livre du coopérateur rhénan, très utiles toutes ces petites banques de districts ; mais ce sont des organismes assez rudimentaires, d’une influence qui paraît restreinte ; ils reposent, en outre, sur l’idée de patronage, sur la direction des classes riches ou aisées, comme le reconnaît très nettement, en plusieurs passages, M. Wolff. C’est dire que les sentimens qui les soutiennent peuvent être passagers, qu’ils ne sont pas de nature éternelle, qu’en tout cas ils ne se prêtent pas à l’universalité des situations.

Déjà l’organisme, de l’aveu même de ses plus enthousiastes admirateurs, a reçu certaines atteintes : la première banque fondée par Raiffeisen, celle de Flammersfeld, oubliant, dit M. Wolff, les principes coopératifs du créateur, a réparti récemment sa réserve, le produit des maigres surplus résultant des petites transactions parmi ses membres, et a découvert que cette réserve dépassait 50 000 francs[2].

On a pris des précautions pour que cette répartition de la réserve ne pût s’effectuer dans l’avenir. On voit, néanmoins, combien l’intérêt personnel est toujours aux aguets et comme les institutions philanthropiques les plus strictes, quand elles viennent à avoir un grand succès et qu’un long temps les sépare de leurs origines, finissent par se transformer en affaires commerciales vulgaires.

C’est ce qui paraît advenir à beaucoup de banques de

  1. People’s Banks, p. 95 à 109. Voir notamment le paragraphe intitulé : Raiffeisen’s Triumph over Schulze-Delitzch, p. 118.
  2. Ibid., p. 71.