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temps très prolongé. On prétend que 15 pour 100 seulement des prêts seraient conclus pour une année ou moins, 43 pour 100 pour une période de 1 à 5 ans, 34 pour 100 pour une de 5 à 10, enfin 8 pour 100 pour plus longtemps. En l’absence d’hypothèques, ce sont des durées énormes.

Les banques Raiffeisen constituent un système tout patriarcal, qui a une base solide : la responsabilité illimitée des membres. L’objet de cette responsabilité indéfinie paraît être, d’après M. Wolff, de conférer la direction aux membres les plus aisés[1] ; c’est un trait caractéristique. Il en résulte à la fois une facilité d’emprunter et une très grande prudence dans les prêts.

Dans plusieurs pays, notamment en Hongrie, on a fondé des banques, appliquant censément les règles Raiffeisen, mais repoussant la responsabilité illimitée : tout le système est ainsi faussé, surtout quand il s’agit d’opérations agricoles et de prêts à très long terme.

L’œuvre de Raiffeisen a excité un très grand enthousiasme et a joui de très efficaces et nombreux patronages : le clergé catholique d’abord dans les provinces du Rhin et toute l’Allemagne du Sud ; l’empereur Guillaume fit à ces banques sur sa cassette particulière un don de 37 500 francs, et son petit-fils Guillaume II vient de leur en faire un de 25 000 francs.

Le caractère essentiellement bienveillant et chrétien du système Raiffeisen lui a attiré quantité d’admirateurs. On l’a opposé au système plus rationnel et plus sec de Schulze-Delitzsch ; la plupart des fervens apôtres de la coopération ont donné la préférence au premier, et ont pris texte de son succès, qu’il est, d’ailleurs, difficile de mesurer, en l’absence de tout document positif, pour décrier le second.

Raiffeisen et Schulze eux-mêmes étaient en mauvais termes ; des débats eurent lieu entre eux et tournèrent à l’aigreur. Dans son livre People’ s Banks, M. Wolff consacre un chapitre à ce qu’il appelle The great co-operative Controversy : il s’agit du parallèle entre l’organisation de patronage de Raiffeisen et l’organisation tout économique de Schulze. La première y est placée très au-dessus de la seconde. On y parle de la vanité de Schulze-Delitzsch, des attractions artificielles qu’il ménageait au capital et à l’habileté administrative, des larges répartitions pécuniaires sous la forme de salaires ou traitemens, de hauts dividendes, de commissions, des affaires de banque de toutes sortes auxquelles se livrent ses sociétés. Schulze, dit-on, écartait de propos délibéré les hommes tout à fait pauvres. Il prenait tous les gages en

  1. M. Wolff est très formel à ce sujet : voir pages 73 et 85, People’s Banks.