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politique, comme partout ailleurs, c’est la liberté qui, seule et exclusivement, rend possibles les progrès de toute nature. Réclamer une protection contre cette liberté, c’est renoncer à la faculté innée en vertu de laquelle doit s’opérer notre développement. » Schulze est anti-protectionniste. Il soutient que « l’existence de gens riches ou aisés à côté de personnes pauvres ou indigentes » n’est pas un malheur, surtout pour l’ouvrier. Il croit à des lois économiques éternelles. Quesnay, Turgot et Adam Smith auraient applaudi à cette déclaration caractéristique : « Les rapports économiques des hommes, de même que tous les autres rapports naturels, se règlent d’après certaines lois éternelles fondées sur la constitution la plus intime de leur être. Aussi, tout succès, toute réussite dans le commerce, comme dans les affaires domestiques, n’est possible qu’à la condition de reconnaître les lois de la nature, de savoir les utiliser à son profit, et d’y subordonner ses actions. »

Le passage suivant est peut-être encore plus décisif. Terminant son quatrième discours sur les Voies et moyens pratiques pour améliorer le sort des classes ouvrières, Schulze-Delitzsch s’écrie : « Cela m’autorise, Messieurs, à dire en votre nom à la société tout entière : « Nous voici ! Nous acceptons toute responsabilité au sujet de notre existence, mais laissez les voies ouvertes à la liberté, et cette tâche n’aura rien qui nous effraye[1]. »

Rien n’est plus opposé soit aux rêveries creuses de Lassalle, soit au mysticisme de certains coopérateurs contemporains dont il a été parlé dans un précédent article, que le ferme bon sens et l’esprit scientifique de Schulze.

Economiste dans toute la force du terme, relevant de la doctrine la plus sévère, la plus attachée au principe de la liberté et de la responsabilité, la plus cou liante dans la fécondité de l’intérêt personnel, Schulze-Delitzsch a créé l’œuvre sociale la plus remarquable de ce siècle.

Il s’inspirait de sentimens moraux aussi bien qu’il suivait des règles économiques précises. S’il revendiquait le selfhelp ou l’assistance par soi-même, opposée à l’aide de l’Etat de Lassalle, il déclarait qu’il ne suffit pas de se procurer « les élémens extérieurs du succès », comme le capital, le crédit, l’exploitation en grand ; il y faut joindre « les qualités intérieures ou personnelles ». Il distinguait plusieurs grandes catégories et plusieurs sous-catégories d’associations : on premier lieu, les sociétés ayant pour objet le perfectionnement moral, d’une part, et, d’autre part, celles qui se

  1. Cours d’économie politique à l’usage des ouvriers et artisans, par Schulze-Delitzsch, traduit et édité par Benjamin Rampai, pages 162, 166 à 173, 177 et 183.