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nouée par Belle-Isle autour de la succession d’Autriche[1]. Telle encore l’habile comédie grâce à laquelle le plénipotentiaire français termine une longue et stérile campagne par une paix plus stérile encore. Il trompe les envoyés d’Autriche et d’Angleterre par de fausses confidences ; il arrache au second une signature qui exaspère le premier. C’est du Regnard tout pur. Mais par ce tour d’industrie, les victoires de Maurice de Saxe sont annulées, la Belgique, à demi conquise, est perdue. Cependant l’homme de cour n’est pas le plus dangereux : à défaut de profondeur, il a du métier. Derrière lui paraît déjà l’animal à principes, par exemple ce marquis d’Argenson qui travaille pour le roi de Prusse, s’entête dans une fidélité ridicule pour un allié douteux, et, satisfait de lui-même, refuse, avec le geste de Fabricius, l’offre des Pays-Bas.

À la même époque et par un autre effet de l’institution monarchique, l’influence des bureaux augmente. Les bureaux sont le prolongement du ministre comme le ministre est le prolongement du monarque ; mais ils ne sauraient suppléer aux défaillances des chefs d’emploi. C’est le dictionnaire bien informé, qu’on néglige ou que l’on consulte, mais qui n’a d’autre autorité que la force du précédent : excellent aide-mémoire, conservatoire indispensable des traditions, médiocre instrument d’action. Je veux bien admirer ces serviteurs modestes et utiles dont M. le duc de Broglie a fait l’apologie dans un langage élevé. Mais je suis forcé de constater que nous n’avons jamais eu de meilleurs commis qu’à l’époque de nos plus grands échecs diplomatiques ; ce qui prouve au moins qu’ils étaient impuissans. De plus, il est toujours à craindre qu’un premier commis ne connaisse les papiers mieux que les hommes et que, dans sa haute opinion du dépôt qui lui est confié, il ne transforme en règle immuable un expédient temporaire. Il lui manque d’avoir vu le vrai ciel et senti trembler le sol sous ses pieds. Enfin, tandis qu’une bureaucratie mieux informée, mais immobile et pédante, rédige de belles instructions et perd des batailles dans les règles, comme ces généraux qui s’indignaient des « innovations » du général Bonaparte, une nuée de négociateurs officieux, simples mouches du coche, s’agite à travers les mailles de la diplomatie officielle et ajoute à l’immobilité l’image de la confusion.

Déjà cependant l’Angleterre et la Hollande donnaient un autre exemple. On avait vu, pendant toute la durée du moyen âge, des êtres collectifs se passer, pour durer, de la continuité

  1. Voir les Études d’histoire diplomatique du duc de Broglie sur la guerre de la succession d’Autriche.