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l’Europe en feu. Pour honorer ce potentat dont les pas ébranlent les nations, et pour donner aux autres peuples une idée avantageuse de sa puissance, rien ne parait trop pompeux ni trop imposant. Les ambassadeurs, émanation de sa personne, font dans les villes des entrées fastueuses. Le canon tonne sur leur passage et les corps municipaux sortent pour les haranguer. Cependant ils s’avancent, gonflés de l’importance de leurs maîtres, et s’ils ont les premiers franchi une certaine porte ou gravi un certain escalier, on illumine comme pour une victoire. D’autre part, une politique qui se fait homme devient claire, tangible, aisée à comprendre. Le maître et les serviteurs se pénètrent réciproquement, car leurs ambitions ne diffèrent que par la grandeur de la scène. Les nobles ne sont-ils pas aussi des chefs de maison ? qu’il s’agisse d’un trône ou d’un tabouret, le conflit d’amour-propre n’est-il pas le même ? Les argumens ne sortent-ils pas de la même officine féodale ? Aussi le roi ne cherchera pas bien loin, s’il s’agit de trouver un négociateur. Faut-il soutenir sa querelle et hausser le ton ? il prendra cet homme d’épée pointilleux sur l’honneur. Faut-il discuter âprement de vieux titres poudreux ? il choisira ce magistrat, ferré sur la procédure. Faut-il user de ménagemens, temporiser, manier le cœur humain ? il jettera les yeux sur cet homme d’église tenace et patient, versé dans la direction des consciences.

Avec une telle responsabilité, le rôle du monarque est écrasant. Souvent ses épaules fléchissent. « Charles-Quint, dit Mignet, avait été général et roi, Philippe II n’avait été que roi, Philippe III et Philippe IV avaient été à peine rois, Charles II ne fut pas même homme. » Les meilleurs souverains, s’ils sont modestes, sentent, comme notre Louis XIII, le besoin de partager le fardeau. Des divers traits qui composent leur visage, il semble que l’individualité s’efface et que l’air de famille, la dignité royale, subsistent seuls. Ou bien c’est une femme indolente, un prince enfant, qui laissent flotter les rênes de l’Etat. Alors surgissent ces grands serviteurs de la monarchie qui soutiennent l’édifice chancelant et qui, libres de préjugés, apercevant les institutions sous les hommes, se sont montrés parfois plus royalistes que le roi. Leur figure offre un singulier mélange de finesse et de calme, de souplesse et de résolution. Ils ont l’ampleur imposante, la grâce noble du geste et l’œil attentif du chasseur. Il y a, chez eux, deux personnages : un courtisan qui doit se maintenir sur le terrain glissant de la cour, un homme d’Etat qui doit élever son âme à la hauteur de sa mission. L’un surtout, le plus grand, Richelieu, a poussé ce contraste à l’extrême : courbé jusqu’à terre quand il