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cavalier, de fringant, bien fait pour séduire les esprits hardis. Elle attirait tout ce qui voulait plaire, c’est-à-dire tout ce qu’il y avait de brillant et de bien né. On sait comment l’aventureux La Chétardie, ambassadeur de France à Pétersbourg, se fit conspirateur au profit de l’impératrice Elisabeth. Un peu plus tard, le baron de Breteuil, choisi pour sa bonne mine, et chargé d’attirer dans les intérêts de la France la future impératrice Catherine, aurait pu résumer ses instructions dans le mot de don Salluste à Ruy Blas :

— Et que m’ordonnez-vous, seigneur, présentement ?

— De plaire à cette femme et d’être son amant[1].


Je concède qu’il entrait dans ces mœurs beaucoup de jargon, de bol air, et par conséquent de vide : que la lumière d’un salon est un jour faux ; que les bruits du dehors n’y pénètrent qu’affaiblis ; qu’à considérer les peuples à travers l’Œil-de-bœuf, on saisit mal les véritables proportions des événemens ; qu’on joue, par bravade, avec le feu, sauf à se faire sauter soi-même et toute la cour. J’accorde encore que, les vrais hommes d’Etat se forment autre part. Il n’en est pas moins vrai qu’à cette époque, toute la bonne société savait les affaires extérieures, tandis qu’aujourd’hui on les ignore. On les abandonne aux spécialistes et aux gratte-papier. C’est fâcheux. Le commun des mortels ne donne tout ce qu’il peut qu’à la condition d’avoir un public. Il faut que l’amour-propre s’en mole. Il faut l’approbation des femmes et ce murmure flatteur des gens qui comprennent ou font semblant de comprendre. Voyez comme on en use aujourd’hui dans les arts et les lettres. La foule élégante se précipite au Salon de peinture ou à l’Académie. Les trois quarts des curieux n’y vont que par genre et débitent force sottises. Mais comme tout le monde parle la même langue et qu’il y a par-ci par-là quelques bons juges, il s’établit une moyenne d’opinion qui encourage, redresse et quelquefois fait naître les vrais artistes. C’est ainsi que, sous l’ancien régime, les cours tenaient école permanente de politique extérieure.


II

Telle est la scène : voyons maintenant les acteurs. Le premier de tous, placé dans une sorte d’apothéose au-dessus des autres mortels, c’est le monarque.

  1. A. Vandal, Louis XV et Elisabeth de Russie ; le duc de Broglie, le Secret du Roi.