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partisans et pourraient encore être admises, si elles avaient pour effet de permettre l’abolition de certains impôts indirects d’une consommation générale, comme le sel, qui paie aujourd’hui une taxe de 300 pour 100 de sa valeur, ou si elles favorisaient les villes dans l’entreprise laborieuse et louable de la suppression de leurs octrois. Les radicaux n’ont pas tout seuls le monopole de l’amour du peuple ; personne, parmi les républicains modérés, ni parmi les conservateurs, ne s’opposerait, j’imagine, à des réformes qui tendraient à dégrever de plus en plus ceux qui n’ont pas ou presque pas de biens.

Il existe cependant un ensemble de lois iniques, autant qu’inouïes, sur les ventes judiciaires d’immeubles, par suite desquelles, lorsque les héritiers mineurs ou la veuve d’un homme qui laisse un capital immobilier de 500 francs, croient entrer en possession de cette valeur, non seulement la loi les en dépouille totalement, mais encore elle les condamne à payer une taxe spéciale à cette occasion. Cela se voit imprimé, sous une forme bénigne et froide, dans les statistiques, qui nous apprennent que les frais obligatoires montent, pour les biens de 500 francs, à 138 pour 100 de leur prix. Cela se répète de temps à autre dans un discours éloquent, comme celui qu’a prononcé l’autre jour, au Havre, M. Félix Faure ; ou dans une brochure, ou dans un article. On lit, on écoute, et l’on passe à un autre ordre d’idées, et la spoliation se perpétue. Ainsi, à la fin du XIXe siècle, un parlement qui ne demande pas mieux que de réduire l’héritage des bourgeois, parce qu’ils ont du superflu, un parlement qui a des larmes toutes prêtes pour toutes les misères, n’a pas encore trouvé le moyen de modifier un engrenage de formalités légales qui ruinent mathématiquement les mineurs ou les veuves pauvres, sous prétexte de les protéger.

Vastes aspirations et insignifians résultats, plans gigantesques et exécution nulle, tel est le destin réservé à une assemblée qui ne s’impose pas une règle, qui n’a pas de maître, ou qui ne suit pas le maître parlementaire qu’elle s’est donné en la personne du premier ministre. Il n’en coûte rien aux publicistes ni aux orateurs de meetings d’accomplir en cinquante lignes ou en quinze phrases toutes les réformes imaginables, parce que le papier, comme on dit, souffre tout, et que les auditoires de réunions publiques sont également pleins de complaisance. Il n’en peut aller de même pour les hommes d’État, ou supposés tels, qui siègent dans les assemblées légiférantes. Ils doivent se souvenir que la politique, toute la politique, se meut dans un domaine très relatif, que l’art y consiste, par une série d’efforts successifs, à obtenir un peu du mieux, à corriger un peu du pire, et qu’à tout aborder on risque, comme on l’a fait jusqu’ici, de ne rien résoudre.

La fermeté avec laquelle M. Gladstone conduit sa petite, mais solide majorité, l’esprit de discipline avec lequel celle-ci se laisse conduire,