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suspecte pas la sincérité des ralliés du conservatisme, de croire que les ralliés du radicalisme sont également de bonne foi, et s’associent du fond du cœur à la politique libérale que le cabinet dont ils font partie entend suivre. C’est à leurs actes, à leur administration que le pays les jugera, beaucoup plus qu’à leur adhésion tacite à une déclaration ministérielle, document dont le genre de style n’exclut pas une obscurité relative.

Quant au cabinet, c’est également à ses actes que le pays verra s’il possède enfin le gouvernement volontaire qu’il réclame. Pendant trop longtemps nous n’avons eu de gouvernement que le nom ; les causes qui ont jusqu’ici maintenu cet état d’anarchie ont cessé ; il ne tient qu’à ceux auxquels le pouvoir est présentement départi d’en faire l’usage qu’ils annoncent. Il a maintes fois semblé aux spectateurs impartiaux de nos polémiques que les ministres, craignant naturellement les coups, et s’avisant qu’ils avaient moins de chance d’en recevoir s’ils ne s’y exposaient pas, évitaient de se compromettre et de prendre position ; ce qui d’ailleurs ne les garantissait pas des chutes.

Nous demandons des ministres qui se tiennent debout, des ministres autoritaires, qui ne laissent pas le règlement de l’ordre du jour aller à la dérive, qui aient un programme de travail arrêté et qui le fassent prévaloir. La Chambre les suivra, s’ils ont l’air de savoir où ils veulent aller. On demeure stupéfait quand on voit, en 1789, l’Assemblée constituante renouveler en quelques mois les fondemens de la France, et qu’après cent ans de régime parlementaire, nos Chambres d’aujourd’hui n’arrivent même pas à enfanter des réformes de détail, sur le principe desquelles elles sont d’accord. Je n’en citerai pour exemple que la loi sur le régime des boissons et la loi sur les assurances ouvrières contre les accidens.

L’œuvre législative peut commencer sans retard, puisqu’il n’y a pas de budget à voter pour le moment, et que la vérification des pouvoirs parait devoir être promptement expédiée, une vingtaine seulement d’élections étant jusqu’ici contestées et ayant donné lieu à des protestations régulières. De plus, la règle qui liquide d’un seul coup tout l’arriéré, à l’expiration de chaque législature, et qui fait tomber en poussière les innombrables édifices qu’elle laisse inachevés, permet aux nouveaux élus d’écrire leur plan de campagne sur une feuille blanche, ou à peu près ; parce que la liste des projets votés au Sénat, ou déposés précédemment par le ministère, bien que longue en apparence, comprend beaucoup de broutilles. C’est une situation qui, pendant quatre ans, ne se retrouvera plus.

Pour se rendre compte du rôle indispensable que doit jouer en pareil cas l’intervention gouvernementale, il suffit de songer que, faute de méthode, on aborde d’emblée des problèmes redoutables, qui se