dans son orgueil encore, a souffert d’être jouée à son tour ; c’est, plus tard, qu’en se proclamant coupable, elle espérait, orgueilleuse toujours, voir Charles refuser plus obstinément de la croire. Au fond, Gabrielle est plus qu’une coquette ; c’est presque une coquine, et puisque Charles eut la faiblesse jadis de la laisser échapper à l’étreinte qui du moins aurait humilié ses pervers caprices, pourquoi n’est-ce pas à la fin sur son front à elle qu’il pose le pistolet ? On comprendrait que celle-là aussi, un Dumas fils la dénonçât et nous criât : Tue-la ! car si elle n’est pas la Bête, elle est un autre monstre, plus récent et peut-être encore plus dangereux, elle est l’Esprit faussé, l’Intelligence corrompue et l’Idéal perverti. Idéal pour idéal, mieux valait l’autre tant moqué, celui des hirondelles, du clair de lune et des romances ; il était moins absurde, et c’était celui du bonheur. Aujourd’hui nous retournons par le raffinement à la barbarie ; nous allons par l’analyse à la décomposition ; nos jeux valent ceux du cirque, et l’es Hedda Gabler ou les Gabrielle de Guimont ressemblent aux vestales penchées sur l’agonie des gladiateurs. Sans compter que dans l’extraordinaire, la psychologie s’égare, oubliant que son vrai domaine, comme celui de toute science, n’est pas l’exception mais la règle, et qu’elle ne saurait vivre des miracles, mais des lois. Banale, dira-t-on alors, et bornée ? Pas plus que n’est bornée la physiologie par la structure anatomique de notre corps et par l’impossibilité de mettre la tête à la place du cœur. La psychologie ose aujourd’hui ces interversions contre nature ; mais la nature se venge et il y a des monstres qui ne vivent pas.
L’erreur de M. de Curel, sans rien enlever à notre espérance, ne laisse pourtant pas de nous inquiéter, parce qu’elle semble pour ainsi dire congénitale et consubstantielle à son talent même. Ce n’est pas un écart, mais un abus ; une exagération, au lieu d’un manquement ou d’une défaillance. M. de Curel a suivi la pente qu’il fallait remonter ; il nous a donné de ses défauts la quintessence et comme la fleur empoisonnée. Souhaitons qu’il ne persiste pas, que dans la retraite où, dit-on, il se plaît, il ne continue point à construire des exceptions, à forger de laborieuses chimères, semblable aux Pharaons de l’Écriture qui dans le désert se bâtissaient des solitudes. Aussi bien est-il juste de croire, d’espérer longtemps en lui, et de lui appliquer une des plus jolies phrases de son œuvre : « Vous m’avez appelée coquette, dit quelque part Gabrielle à Charles : je n’étais qu’emballée. Lorsqu’un cheval emporté se maîtrise, il est tout frémissant, prêt à la révolte : on le calme par la douceur. Vous m’avez rudoyée, je ne demandais qu’à être rassurée. Si, de moi-même, je reprenais le chemin sur lequel autrefois j’ai galopé trop vite, n’auriez-vous pas la patience de m’attendre ? » — Que M. de Curel se maîtrise donc et rompe son galop ; nous ne demandons pas mieux que de l’attendre sur le chemin.