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REVUE DRAMATIQUE

:Comédie-Française : L’Amour brode, pièce en 3 actes de M. François de Curel. — Vaudeville : Mme Sans-Gêne, comédie en 4 actes, de MM. Sardou et Moreau. — Renaissance : Les Rois, pièce en 4 actes, de M. Jules Lemaître. 

Après trois représentations, M. de Curel a retiré sa pièce du Théâtre-Français.


Depuis qu’elle n’est plus, quinze jours sont passés ;


mais il n’est pas trop tard « pour parler encor d’elle ». La brochure reste, et d’un homme de talent l’erreur même, une erreur aussi considérable, mérite d’être rappelée.

Je ne sais plus lequel des amis de Henri Heine lui écrivait un jour : « Ne joue pas avec les serpens ; leur enlacement est si fort ! » Ce fut jusqu’ici le jeu favori de M. de Curel. Il y excellait, et nous applaudissions, ravis, à son adresse, à son audace, à l’éclat de ses jeunes victoires. À lui comme au poète, on a crié gare, mais vainement. Il a fini par se prendre dans les nœuds de sa propre pensée ; au charmeur cette fois les couleuvres n’ont point obéi.

Une femme cherche follement l’idéal chez un homme et ne l’y rencontre pas. De la rencontre manquée, de l’illusion perdue, ce n’est pas elle, mais lui qui meurt, lui qui se tue. Voilà, réduit et nu, le sujet de l’Amour brode ; le canevas sans les broderies. Quel est cet homme, cet idéal, et quelle est cette femme, toute la pièce de M. de Curel est là. Il n’en est guère de plus malaisée à comprendre, ou seulement à raconter. Non pas que les faits y soient obscurs ou compliqués ; mais les sentimens le sont au delà de ce qu’on pouvait craindre. Oui, je sais bien, il y a l’éternel adage : « On ne jouit que des âmes. » Mais on peut souffrir aussi par elles, et terriblement ; les rares spectateurs de l’Amour brode en savent quelque chose.