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à toute époque, les réunions d’hommes sont plus fréquentes, plus habituelles, plus nombreuses que les réunions de femmes. À cela tient peut-être en partie l’écart si grand entre la criminalité des deux sexes, au profit du plus faible. La moindre criminalité des campagnes comparées aux villes est un fait qui peut se rattacher à la même cause. Le campagnard vit à l’état de dispersion habituelle. Quand, par hasard, les femmes pratiquent la vie de rassemblement quotidien, — je ne dis pas la vie corporative, sous forme monastique ou autre, — leur dépravation atteint ou dépasse celle de l’homme. Et, pareillement, quand le paysan, les années où la vie est à très bon marché, cultive l’auberge autant que l’ouvrier le café, il devient facilement plus immoral que l’ouvrier et plus redoutable. Karl Marx, dans le Capital (chap. XXV), fait un tableau pittoresque des bandes d’ouvriers agricoles qui, recrutées par un chef « vagabond, noceur, ivrogne, mais entreprenant et doué de savoir-faire », promènent leurs bras dans divers comtés d’Angleterre. « Les vices de ce système, dit-il, sont l’excès de travail imposé aux enfans et aux jeunes gens… et la démoralisation de la troupe ambulante. La paye se fait à l’auberge au milieu de libations copieuses. Titubant, s’appuyant de droite et de gauche sur le bras robuste de quelque virago, le digne chef marche en tête de la colonne, tandis qu’à la queue la jeune troupe folâtre et entonne des chansons moqueuses ou obscènes. Les villages ouverts, souche et réservoir de ces bandes, deviennent des Sodomes et des Gomorrhes… »


V.

Jusqu’ici nous nous sommes plus spécialement occupés des foules ; attachons-nous maintenant davantage aux corporations. Mais d’abord indiquons le rapport que celles-ci ont avec celles-là, et la raison que nous avons eue de les réunir en une même étude. Cette raison est bien simple : d’une part, une foule tend à se reproduire à la première occasion, à se reproduire à intervalles de moins en moins irréguliers, et, en s’épurant chaque fois, à s’organiser corporativement en une sorte de secte ou de parti ; un club commence par être ouvert et public, puis, peu à peu, il se clôt et se resserre ; d’autre part, les meneurs d’une foule sont le plus souvent non des individus isolés, mais des sectaires. Les sectes sont les fermens des foules. Tout ce qu’une foule accomplit de sérieux, de grave, en bien comme en mal, lui est inspiré par une corporation. Quand une multitude accourue pour éteindre un incendie déploie une intelligente activité, c’est quelle est dirigée par un détachement de la corporation des pompiers.