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regards dans l’âme arabe, en cette couche qui flotte entre le peuple et les lettrés. Nous causons aussi de l’histoire musulmane de l’Égypte. Il me traduit des fragmens de Makrizi et d’Abdallatif. Je me forme ainsi une idée de l’histoire des khalifes et des sultans d’Égypte qui marquèrent la splendeur de la civilisation arabe.

Il n’est pas d’histoire plus mouvementée, d’essor plus prodigieux, de chutes plus rapides. De l’an 640 à 1517, de la prise d’Alexandrie par Amrou à la prise du Caire par Sélim 1er, chef des Ottomans, l’Égypte compte huit dynasties de khalifes ou sultans et cent vingt-deux souverains. En moins d’un siècle, l’Islam atteint son dernier degré d’expansion par des conquêtes stupéfiantes. D’une aile, il s’enfonce dans les vieilles civilisations de l’Inde et de la Chine ; de l’autre , il menace la France . Le croissant flotte de l’Himalaya aux Pyrénées, En quelques siècles l’empire des khalifes atteint le sommet de la puissance, puis s’achemine promptement vers la dissolution et la chute. Épopée tourbillonnante, succession ininterrompue de guerres, d’usurpations, de grandeurs et de bassesses, de merveilles d’art et de crimes, où le pouvoir absolu est sans cesse dévoré par l’anarchie, qui le réenfante aussitôt, — une tempête de simoun entrecoupée de mirages et suivie du calme plat de la mort. — Quelques grands types de souverains s’en détachent. D’abord Amrou, conquérant de l’Égypte byzantine, vainqueur d’Alexandrie et fondateur du Caire. Caractère d’un seul bloc, comme celui de son maître Omar, violent mais intègre, équitable et loyal, terrible à la guerre, bienfaisant dans la paix, absolu dans la foi comme dans l’action. Il marche encore dans le rayon d’enthousiasme et de foi qui illumine les compagnons de Mahomet. — Deux cents ans après, c’est Touloun le Turcoman, habile et retors, sultan redoutable et protecteur des pauvres, constructeur de je ne sais combien d’aqueducs, de forteresses, d’hôpitaux, de mosquées. Quand il se sentit mourir, il ordonna aux rabbins juifs, aux prêtres chrétiens et aux imans de se réunir en apportant leurs livres sacrés : les rabbins, le Pentateuque ; les chrétiens, l’Évangile ; les musulmans, le Coran, puis de monter tous ensemble sur le Mokattam et de prier Dieu pour son âme. Bel exemple de tolérance ! Mais faut-il donc qu’un tyran agonise et doute de son salut pour faire sentir aux cultes qui adorent un seul Dieu leur unité ? — Avec les Fatimites, c’est l’énigmatique Hakem, qui, entre ses orgies et ses massacres, mène une vie d’ascète et d’illuminé, se donne pour une incarnation de la divinité, fonde la secte des Druses et disparaît un beau jour sans trace sur le Mokattam. — Au xiie siècle, c’est le grand Saladin, le vainqueur des croisés, qui donne des leçons de courtoisie à Richard Cœur de Lion et lègue