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guerre. Il n’était pas dépourvu d’initiative, quoiqu’il en ait manqué en 1870. Au contraire, prenant sur lui de modifier, à l’heure du péril, les plans du haut commandement, c’est en manquant à la discipline qu’il avait vaincu à Magenta ! Félix culpa ! Bien que cette louable audace ne se soit pas renouvelée, lors de la campagne de France, où la direction politique des opérations l’envoya se faire battre sur la Meuse, sa réputation n’en avait pas trop souffert, et sa blessure à Sedan lui avait conservé son prestige !

La présidence lui réservait de tout autres campagnes, aussi pénibles pour lui. Son avènement, au printemps de 1873, était suivi de la fusion des deux branches de la maison royale, en été, et de l’échec des restaurations monarchiques, en automne. Quand le Comte de Chambord qui, par sa lettre du 27 octobre, avait inconsciemment refusé la couronne, fit demander huit jours plus tard au maréchal, — du petit hôtel de la rue Saint-Louis, à Versailles, où il était descendu chez M. le comte de Vanssay, l’un de ses fidèles, — de consentir, s’il ne pouvait faire davantage, à une entrevue secrète avec lui, la monarchie était morte. Le maréchal le savait, comme tout le monde en France ; il n’y avait que M. le Comte de Chambord à l’ignorer. Le chef de l’État refusa naturellement de s’engager dans des pourparlers qui, approuvés naguère par l’Assemblée nationale, eussent été l’aurore d’une restauration, mais qui, désavoués par elle, devenaient une intrigue déloyale.

Seulement, une tactique qui ne peut faire la monarchie et ne veut pas accepter la République, se heurte vite à la logique du suffrage universel. D’où les élections de 1876, puis la tentative du 16 mai, où le maréchal s’engagea, on ne sait trop sous quelles influences ; tentative qui eût risqué de tourner au tragique, si le duc de Broglie ne s’était trouvé là pour en sauver l’honneur. En octobre 1877 commencèrent, pour le président de la République, deux années fort grises. L’Elysée restait moralement désert. Le maréchal était dans la situation de ces rois constitutionnels, forcés de prendre des ministres qui ne sont pas leurs amis, et ayant des amis qu’ils ne peuvent pas faire ministres. Ses anciens partisans le boudaient, ou s’éloignaient de lui pour ne pas le compromettre, et les nouveaux guides de la majorité l’évitaient, pour ne pas se compromettre eux-mêmes. La presse, la presse de droite, plus encore que celle de gauche, ne lui ménageait ni son ironie ni ses colères. Dès lors il ne lui restait rien autre chose à faire que quitter ce pouvoir, auquel il avait été porté sans l’avoir sollicité, en disant dans sa lettre de démission adressée aux deux Chambres : « J’ai la consolation de penser que, durant les cinquante-trois années que j’ai consacrées au service de mon pays, je n’ai jamais été guidé par d’autres sentimens que ceux de l’honneur et du devoir, et par un dévouement absolu à la patrie. »