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jeune mère, à la chevelure dorée, au corps merveilleusement proportionné, aux yeux candides et pudiques, séduit Axel dès le premier jour par ses grâces virginales. Aux sentimens que lui inspire cette vierge-mère ne se mêle aucun désir profane : « Je veux l’adorer, se dit-il ; je veux me sacrifier, je veux soulîrir, sans espérer d’autres joies que celles de l’adoration, du sacrifice, de la souffrance. « Cette résolution héroïque lui fait honneur, mais il a trop présumé de lui : il s’aperçoit à l’user que sa madone est une vraie femme, que les affaires d’ici-bas l’intéressent beaucoup plus que les choses du ciel, que dans l’occasion son regard candide et pudique devient provocant et voluptueux. Il s’obstine à l’adorer ; mais ses sens ont parlé : désormais il la désire autant qu’il l’adore.

Il connaissait le mot de Napoléon, que dans les campagnes amoureuses on ne triomphe qu’en fuyant. Il se décide à s’enfuir ; il s’embarque sur un vapeur et part pour la France. À peine est-il parti, le courage lui manque et il maudit sa vertu. Ne plus voir cette femme c’est ne plus voir le soleil ; plutôt mourir ! Il se fait débarquer dans une île et retourne bientôt à Stockholm. Un soir, il était seul avec la baronne, qui tricotait à la clarté d’une lampe. Il aperçoit sous le tapis de la table une pantoufle de Cendrillon, un petit pied et une jambe fine, que la jupe laissait à découvert. Cette jambe était enfermée dans un bas blanc bien tiré et maintenu sous le genou par une jarretière brodée. « Il est un muscle adorable, nous dit cet idéaliste, qui permet à l’imagination de reconstruire le corps tout entier. » C’en est fait, il s’abandonnera à sa passion. La baronne essaie ou feint de résister ; elle lui rappelle qu’ils se sont promis de n’être jamais l’un pour l’autre qu’un frère et qu’une sœur. « Sotte plaisanterie ! s’écrie-t-il : corps et âme, je vous adore ; j’adore vos cheveux blonds et votre âme ingénue, les plus petits souliers de la Suède et votre candeur, vos yeux qui étincellent jusque dans l’ombre d’une voiture fermée, votre sourire ensorcelant, votre bas blanc et votre jarretière rouge… Ne vous récriez pas, ma princesse adorée : j’ai tout vu. Je vous mordrai le cou, je vous serrerai dans mes bras jusqu’à vous faire perdre le souffle, je vous étoufferai sous mes baisers. Je me sens fort comme un Dieu, et je vous avalerai tout entière. Défiez-vous du lion malade, n’approchez pas de sa tanière : ses caresses vous tueraient. Que m’importe l’amitié de votre baron ! Je ne suis qu’un bourgeois, un provincial, un déshérité. Il me déteste, et je l’exècre. » Voilà une déclaration à la hussarde, et il paraît que l’homme, quoi qu’en dise M. Strindberg, n’a pas toujours le don d’idéaliser ses amours. Mais il faut excuser Axel, il avait tout vu. Après avoir été la maîtresse de ce bibliothécaire orageux, la baronne, qui a obtenu son divorce, le somme de l’épouser. Quoiqu’il commence à la connaître, il se résigne, il s’exécute, et il expie des joies trop courtes par de longues et indicibles souffrances. Il a acquis la convic-