Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


À JOACHIM DU BELLAY


Le dégoût douloureux des jours que tu menais
Dans la Rome papale en éternelle fête
Te révéla le charme et la douceur secrète
De ton Liré natal, des bois, et des genêts.

L’amour qui te reprit du sol d’où tu venais
Jaillit en flot plaintif de ta plume inquiète ;
Et pour te célébrer comme il sied, ô poète.
J’emprunte le modèle à tes divins sonnets.

De tant d’illustres lieux où coulaient tes journées
Nul ne valait celui de tes jeunes années,
Fût-ce le Capitole ou le mont Palatin.

Mais tout autre est l’ennui de mon âme fidèle ;
Rome, dont tu souffrais, je ne regrette qu’elle :
Ma jeunesse est là-bas, près du Tibre latin.


SONNET POUR HELENE


Lorsque Ronsard vieilli vit pâlir son flambeau
Et connut le néant des gloires passagères.
Il voulut échapper aux amours mensongères
Et d’une chaste fleur couronner son tombeau.

Faisant don de sa muse et de son cœur nouveau
À la jeune vertu d’Hélène de Surgères,
Il confia ce nom à des rimes légères
Et son dernier amour ne fut pas le moins beau.

Ils se plaisaient ensemble à fuir les Tuileries
Et devisaient d’amour sur les routes fleuries,
— D’Amour, honneur des noms qu’il sauve de périr !

Le poète songeait, triste qu’elle fût belle
Alors qu’il était vieux et qu’il allait mourir ;
Mais elle souriait se sachant immortelle.


P. DE NOLHAC.