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nos yeux les tableaux variés de l’existence d’une sorte d’aventurier de lettres ; mais de tous ses livres c’est celui qui laisse la plus forte impression de monotonie, et le seul peut-être qui par endroits donne celle de l’ennui. C’est que, le journaliste Deroy n’ayant pour réussir d’autre raison sinon qu’il est un beau mâle, et n’ayant pour parvenir qu’un moyen, celui de la nature, la répétition à la longue et malgré tout en devient fatigante. Dans Mont-Oriol le cadre est bien vaste pour une aventure qui gagnerait à être plus lestement contée, et qui de fait l’a été maintes fois par Maupassant lui-même. Ou plutôt on saisit trop ici le procédé, emprunté par Maupassant aux écrivains de l’école naturaliste et qu’il eût mieux fait de leur laisser : il consiste à rattacher à l’aide d’une aventure quelconque, et qui aurait pu être différente étant par elle-même insignifiante, la série des documens et des notes prises sur un milieu. Enfin, quittant ce qu’il appelle le « roman objectif » pour la forme qui en est exactement le contraire, « le roman de psychologie », Maupassant a prouvé par le succès de Pierre et Jean que son talent n’était pas seulement vigoureux, mais qu’il était souple et pouvait se prêter aux recherches les plus différentes. Si néanmoins il n’a retrouvé le même succès ni dans Fort comme la mort ni même dans Notre Cœur, c’est peut-être qu’il pouvait bien faire dans le domaine de l’étude psychologique une excursion, mais que ce domaine n’était pas le sien, les personnages qu’il comprend le mieux étant aussi les moins compliqués, et les sentimens dont l’étude lui appartient en propre ne se prêtant guère à de très subtiles analyses.

C’est dans la nouvelle que Maupassant est tout à fait supérieur, et au point de défier toute rivalité. Il y est un créateur, ce qui est la condition indispensable pour être un maître. Il a renouvelé le genre ; il l’a remis à la mode. À cette vogue retrouvée du genre nous devons la masse des contes médiocres et des nouvelles insipides dont nous sommes inondés chaque jour, la nouvelle étant devenue article de production courante, et ayant sa place dans les journaux entre la chronique fantaisiste et l’article d’information. Ainsi se trouve confirmée la règle qui veut que nous payions cher chacun de nos plaisirs, et la loi est appliquée d’après laquelle l’impulsion donnée par un chef-d’œuvre doit se propager et se continuer jusqu’à ce qu’elle s’épuise dans la série d’imitations de plus en plus faibles. L’Histoire d’une fille de ferme, En famille, l’Héritage, Mon oncle Jules, les Bijoux, l’Enfant, dix autres que nous avons citées, vingt autres que nous pourrions citer, donnent cette impression qui est celle même qu’on cherche à produire en art : c’est l’impression de la plénitude et de la perfection du rendu, venant de ce que l’idée a été complètement réalisée et l’effet