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acheté honteusement. Mais voici qu’à l’instant de partir, après avoir pendant des mois souffert et fait souffrir, et que ce soit lassitude ou pitié, il sent se produire en lui ce curieux phénomène de l’apaisement : il n’a plus de haine. Dans Fort comme la mort, qui nous retrace l’agonie du cœur d’un vieil homme amoureux d’une jeune fille, c’est décidément la pitié qui triomphe. Quand le peintre Olivier Berlin, vaincu par la violence d’une passion sans espoir comme sans raison, éprouve le besoin de crier du moins son mal, c’est auprès de l’amante délaissée qu’il trouve un refuge, auprès de l’amante qu’il n’aime plus et qui souffre tant de n’être plus aimée. En ses derniers livres, c’étaient les crises des âmes qui intéressaient Maupassant, singulièrement revenu de son impassibilité de jadis. Il avait repris à son tour cette forme du roman de psychologie qui redevenait à la mode : il l’avait prise telle qu’il la voyait pratiquée autour de lui : dans Notre cœur, la description des élégances mondaines ne tient guère moins de place que dans les romans les plus réputés à ce point de vue de M. Bourget. Maupassant avait une inquiétude de se renouveler qu’on n’a pas assez remarquée. Ses plus récentes tentatives allaient vers le théâtre. Si je n’insiste ni sur Musotte ni sur la Paix du ménage, c’est qu’il y a dans l’une beaucoup de M. Jacques Normand et dans l’autre beaucoup de M. Alexandre Dumas ; aussi bien dans l’une et dans l’autre ce qu’il y a de meilleur n’est-il pas ce que ces pièces ajoutent aux nouvelles d’où elles sont tirées ?


III

Or, quand on vient de fermer ces livres, parmi lesquels il en est de presque entièrement amusans et uniquement drôles, on se sent le cœur serré par la plus pénible impression de malaise et d’angoisse. Pour l’expliquer il ne suffit pas de dire que l’inspiration de Maupassant a été sans cesse en s’attristant, ni même de rappeler certaines confessions terrifiantes comme celle du Horla. C’est de tous les coins de l’œuvre du romancier que cette impression se dégage. Le fond même ici est aride et désolé. Dans un temps d’universelle désespérance, nul autre plus que cet écrivain n’a montré le vide de tout et donné la sensation de l’absolu néant.

On dirait qu’il procède par une espèce d’élimination de tout ce qui sert d’objet à l’espérance des hommes, de but à leur activité, d’attrait et de soutien à leur énergie. Ce n’est pas qu’il ait une pénétration d’esprit particulière et qui lui ait permis d’aller tout de suite au fond de certains problèmes ardus. Ce serait plutôt pour la cause contraire. Maupassant n’est aucunement un penseur. On le voit, chaque fois qu’il se hasarde à exprimer une idée sur quelque question abstraite. Dans l’Inutile Beauté un homme du