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24 septembre, c’est la rupture, et sur le fait de Condé, comme de Lionne le désirait. Don Luis de Haro ayant définitivement déclaré « que jamais le Roy son maître ne feroit la paix, — quoy qu’il hazardast ou perdist du sien —, que M. le Prince ne fust pleinement restably, en quoy il ne s’agissoit ny de l’honneur ny de la seureté de S. M. très chrestienne » « Si dès le commencement de la négociation, repartit de Lionne, vous m’eussiez fait une déclaration pareille, je vous aurois épargné bien de l’incommodité et ne serois pas seulement entré en aucune matière. Dieu l’a peut-estre permis pour chastier un sujet du Roy du crime de sa rébellion par la punition la plus sensible qui peut arriver à tout homme raisonnable de se voir et considérer pour la seule cause de la durée de la guerre et par conséquent l’objet de la hayne de la Chrestienté[1]. »

En annonçant le lendemain son départ au cardinal et en lui transmettant la série des mémoires où il rend compte des conférences tenues du 4 au 24 septembre, de Lionne fait ressortir que « la négociation de la paix avoit esté heureusement conduite vers sa dernière conclusion, si le point des charges et gouvernemens de M. le Prince, qui a tout accroché et tout rompu, ne fust venu s’opposer à la perfection de ce grand ouvrage. J’appréhendois extrêmement cette rupture sur une autre circonstance de cette mesme affaire : l’intention qu’avoit le Roy de retenir Chantilly et de prescrire au dit prince son séjour hors du royaume de France »[2].

En effet, de Lionne ne pouvait que s’applaudir d’avoir été dispensé de produire au grand jour ces deux clauses, qui révélaient l’animosité de Mazarin et les véritables intentions de la cour.

Ainsi, en offrant de restituer à Condé le rang de premier prince du sang de France et de le rétablir en ses biens, honneurs et dignités, Mazarin ne se bornait pas à lui refuser la charge de grand-maître et le gouvernement de Guyenne ; il se réservait de lui prendre Chantilly et de l’envoyer en exil pour un temps illimité.

  1. Mémoire de de Lionne, 24 septembre 1656. A. E.
  2. Mazarin, feignant de considérer Chantilly comme un don royal, — sachant le contraire, — avait donné à de Lionne les instructions suivantes : le Roi prétend retenir Chantilly et révoquer le don qu’en a fait la Régente, « les donations étant, par les lois, révoquées par l’ingratitude. Néanmoins, S. M. ne voulant révoquer aucune des grâces de cette nature qu’elle a départies au dit sr Prince ou à sa maison, on en donnera une juste récompense, suivant l’estimation de ce que la terre vaut de revenu. Bien que les bois aient esté dégradés par le père du dit sr Prince, le Roy accordera jusqu’à trois ou quatre cent mille escus, payables en trois ou quatre années ». — Voici ce qu’il disait dans la même dépêche, sur le séjour imposé à Condé hors de France : « Quand on parle du séjour de M. le Prince, l’intention de S. M. n’est pas de le reléguer en un lieu, mais seulement qu’il soit pendant quelque temps dans quelque royaume ou quelque estat où il puisse, par sa bonne conduite, mériter l’entière liberté d’aller et venir où bon luy semblera. » (La Fère, 13 août 1656. A. E. Espagne, vol. 35, no 70.)