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vaient, rajeunir les vieux vocables : ainsi Théophile Gautier regrettait de ne plus pouvoir écrire primtemps. En un temps où, nourrie de descriptions et de récits, étourdie de sons et de couleurs, la poésie cherche à évoquer les visions lointaines, à réveiller les échos des anciens langages :

Des pentes de l’Othrys aux neiges du Thymphreste…


Le jeune homme divin, nourrisson de Délos,
Dans sa khlamyde d’or quitte l’azur des flots…


C’est le roi de Pythô, de Milet, de Klaros,
C’est le Lykoréen, meurtrier de Titye…


IV

Nous avons parcouru la liste jusqu’au bout, laissant seulement de côté les propositions moins importantes. Ainsi qu’on a pu le voir, c’est un mélange assez complexe, une succession d’idées vraies et de propositions contestables. L’honorable rapporteur, mû par le devoir académique et comprenant « qu’il y avait quelque chose à faire », a composé sa note comme un président du Conseil son programme : parmi les revendications qui étaient dans l’air, il a choisi celles qui lui paraissaient les moins difficiles à faire passer.

Mais quand même tous les articles seraient également justes, cette liste est trop longue. Tout changement à l’orthographe traditionnelle demande un effort à la mémoire, une contention à l’esprit. On peut faire cet effort sur deux, sur trois points à la fois : on ne peut le faire sur douze ou quinze. Il faudrait accorder un congé de trois mois à tous nos instituteurs, à toutes les administrations, à toutes les imprimeries, pour leur donner le temps de s’initier à la nouvelle observance. Et quel serait le maître qui se chargerait d’apprendre la théorie à ces milliers de conscrits de tout âge ?

C’est là un côté de la réforme qu’il nous reste à examiner.

Il est curieux d’observer comment la question, de purement littéraire qu’elle était, s’est insensiblement modifiée, en se compliquant de raisons extrinsèques, tirées de notre état social ou de notre intérêt politique. Il ne s’agit plus, comme au dix-septième siècle, de polir la langue, d’en accroître les moyens d’expression : nous avons affaire à des considérations nouvelles, comme de rendre les choses plus faciles pour les millions d’enfans qui passent par l’école primaire, comme d’écarter les pièges que l’orthographe peut tendre aux candidats dans les examens et concours de tout ordre, comme d’aider les étrangers, et spécialement les nouveaux Français des colonies, à se rendre maîtres de notre langue. J’ose dire que ce sont là des considérations quelque peu étrangères à la