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comme thym, thon, écho, chœur, philtre, ce qui les distingue de leurs homonymes, où sera le profit ? Ainsi que l’a dit un homme de bon sens, si ces lettres ne se font pas entendre, elles se font voir, et c’est déjà quelque chose. Il faut se souvenir que l’Académie a déjà procédé plusieurs fois à une revision totale de son Dictionnaire, retranchant chaque fois le plus de lettres inutiles qu’elle pouvait, et que celles-ci, à la différence de la mauvaise herbe, ne repoussent plus. On doit supposer que là où elle en a laissé, ce n’est pas sans quelque bonne raison. Au substantif temps, par exemple, on pourrait être tenté d’enlever l’une ou l’autre lettre : mais laquelle ? Si je dis : Il n’y a pas de temps à perdre, je fais entendre l’s, et si je retranche le p j’empêche d’apercevoir la parenté avec température, temporaire, intempestif. Cette prétendue lettre superflue est une excellente leçon de français.

Des motifs analogues existent pour beaucoup de ces rh et th. Le rapporteur a reculé naturellement devant les conséquences extrêmes de la simplification : il veut qu’on retranche seulement les h qui font partie d’un groupe, comme dans asthme, arthrite, rhythme[1].

On sait que ces groupes ont trouvé des défenseurs inattendus : les poètes sont accourus à leur secours, « Ce sont, a dit l’un d’eux, les lettres de noblesse de notre langue : on la découronnerait, on la vulgariserait en les lui retirant. » Pour être inattendue, cette intervention n’en est pas moins légitime. La chose vaut la peine qu’on s’y arrête un moment.

Si l’on compare le nombre de conceptions et d’images que nous acquérons par la lecture au nombre des représentations qui nous arrivent par l’ouïe, nous constatons que dans notre civilisation moderne, avec le développement de la littérature, le rôle des yeux est devenu plus important que celui de l’audition. Il y a donc une sorte d’inconséquence à subordonner l’œil à l’oreille, et à obliger les mots qui sont depuis longtemps familiers à l’un de nos sens de se modifier pour complaire aux prétendues facilités d’un autre organe. En réalité, et depuis longtemps, nos langues renferment deux sortes de vocables : les uns sont transmis par la tradition orale, encore que l’écriture les ait recueillis et fixés ; les autres, nés sur le papier, ont toujours mené une existence purement littéraire. Pourquoi les dépouiller de leur costume ? pourquoi leur faire endosser un uniforme qui supprimerait toute histoire ?

Et en quel temps cette proposition égalitaire est-elle venue tomber ? En un temps où les écrivains voudraient, s’ils le pou-

  1. Il y a quinze ans, l’Académie avait décidé qu’on écrirait rythme. Décision incompréhensible, puisqu’elle continuait à écrire rhume, rhétorique.