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trouvent en présence de différences un peu fortes, se résignent à se tenir tranquilles ; mais, s’il s’agit seulement de nuances, ils ne peuvent s’empêcher de mettre la main à l’œuvre. Nous allons maintenant les voir opérer sur les doubles consonnes.

On dirait qu’ils ont voué aux doubles consonnes une rancune particulière. Ils leur ont fait déjà, il y a quinze ans, pressentir ce qui les attendait, lorsqu’ils ont obtenu de l’Académie que, — par un coup d’État qui n’a jamais été expliqué, — elle changeât innommé en innomé. Cette fois, on veut la pousser à des mesures beaucoup plus sévères : il est question de modeler nommer sur innomé, honneur sur honorable, homme sur bonhomie, et ainsi de suite. Qu’ont donc commis les consonnes doubles ? Je n’ignore pas qu’elles causent des erreurs aux examens et qu’elles ont parfois, pour peu de chose, amené des échecs aussi regrettables que peu mérités. Nous en reparlerons plus tard. Mais je crois devoir prévenir les amateurs de régularité qu’en poursuivant dans cette voie, ils s’engagent beaucoup plus loin qu’ils ne supposent. Le redoublement de la consonne est une loi de notre écriture qui a au moins trois siècles d’ancienneté : on ne pourrait y toucher sans refondre des milliers de mots. Il suffit de songer au féminin des adjectifs comme ancien, parisien, bon, poltron, muet, violet, gros, gras, cruel, éternel, ou des substantifs comme lion, chien, chat. Ou bien encore on n’a qu’à penser aux dérivés de raison, pension, ou aux formes verbales ils tiennent, qu’il vienne. Des mots qui, par l’étymologie, n’ont aucun droit à la double consonne, la prennent cependant : personne, couronne, échelle, voyelle, dessécher, ressusciter, dessus, dessous, pomme, comme… Une bonne partie du dictionnaire y passerait.

On cite toujours l’exemple d’honneur et honorer, de résonner et sonore, sans faire attention qu’on retombe dans la même erreur. Ce sont des mots d’origine différente. Dans honnête, dans sonnerie, qui sont de formation populaire, nous retrouvons les deux n. Ces deux lettres qu’on dit inutiles se font encore entendre dans la prononciation de certaines provinces : le son nasal que l’habitant du Midi ou du Centre prête à la première syllabe de donner, façonner, permet d’entrevoir l’origine de cette orthographe essentiellement française.

Je ne veux pas cacher toutefois qu’il y a une raison à cette guerre. Depuis trois siècles notre langue n’a pas su se décider, pour les mots comme il achète, il jette, il harcèle, il appelle, entre le système des accens et celui des doubles lettres. Elle eût mieux fait de s’en tenir à ces dernières, puisque cela était plus conforme au plan général. Mais le mal étant fait, je proposerais le régime de l’option. Qu’il soit entendu qu’on pourra écrire il appelle ou il