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On ne demande pas d’ailleurs au Dictionnaire de l’Académie de faire une place à cette foule de toute langue et de toute extraction : le mieux pour elle est de l’ignorer, comme des hôtes étrangers qui vont et viennent parmi nous, et qu’on accueille sans chercher à les retenir.

Nous arrivons maintenant à tout un ensemble de propositions qui forme la portion centrale du projet. Ces propositions sont de valeur bien inégale. Beaucoup émanent d’une catégorie particulière que nous appellerons, faute d’un autre nom, les simplificateurs. Ce sont des gens qui cherchent ce qu’on peut enlever à un mot sans l’empêcher d’exister, ou qui, mettant en regard deux termes plus ou moins semblables, se demandent pourquoi on y a laissé des différences, ou bien encore qui veulent alléger l’alphabet en le débarrassant des lettres qu’ils jugent inutiles. La simplification est une excellente chose, mais il faut en user à propos.

Comme on l’a dit justement, écourter n’est pas simplifier. Si, au lieu d’écrire il rompt, j’écris : il ront, j’aurai retranché une lettre ; mais aurai-je rendu le verbe plus simple ? Bien entendu, M. Gréard ne propose point pareille chose, quoique à un certain endroit il ait l’air de recommander l’orthographe tu mors au lieu de tu mords. Mais, entraîné par le désir d’aplanir la route aux commençans, il a trop prêté l’oreille à ces prétendus amis de la jeunesse, qui se promènent à travers la langue l’équerre et le cordeau à la main.

Commençons par les points où la simplification nous paraît possible. C’est en ce qui concerne certaines règles de la grammaire, règles extraordinaires, que tout le monde a apprises dans sa jeunesse sans parvenir à les comprendre. Pourquoi une demi-heure & une heure et demie ? Pourquoi les règles de nu-tête et de tête nue ? Ne peut-on orthographier feu la reine comme on fait pour la feue reine ? Pourquoi les différentes règles de tout, de quelque et de même ? Faut-il écrire gelée de groseille ou de groseilles ? En ces questions, une large tolérance me paraît être la vraie solution. Au fond, plusieurs de ces irrégularités ne sont pas aussi dépourvues de raison qu’on pourrait être tenté de le croire. Mais comme la chose est indifférente à la plupart des hommes, n’embarrassons pas, pour le plaisir des érudits, la route déjà bien assez encombrée de la jeunesse ! Je ferai remarquer à ce propos que pour les difficultés de ce genre, la solution, quelle qu’elle soit, ne dérange personne, n’oblige à réimprimer aucun livre, ne fait remanier aucun classement alphabétique. Ici encore, nous opérons en sûreté, sans heurter qui que ce soit, et avec cette heureuse latitude de pouvoir quelque peu desserrer le frein.