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de siège, — pas si petit du reste que son nom l’indique, — à Prague, en réponse aux manifestations des jeunes-tchèques qui, d’anti-allemandes au début, sont bien près de devenir anti-dynastiques, ont occupé l’opinion durant ces derniers mois.

En même temps l’agitation radicale en faveur du suffrage universel n’avait cessé de grandir, et l’on pouvait prévoir le moment où l’Autriche se trouverait forcée d’entrer, après l’Espagne, la Belgique, la Hollande, dans la voie d’une organisation plus libérale du suffrage direct. Personne cependant ne croyait le moment si proche, et ç’a été, il y a trois jours, un vrai coup de théâtre au parlement de Vienne que le dépôt par le comte Taaffe d’une loi de réforme électorale, dont nous approuvons sans réserve l’audace intelligente, et qui établit le suffrage quasi-universel des citoyens de vingt-quatre ans, sachant lire et écrire.

En Hongrie, les projets de loi relatifs aux réformes religieuses, celui surtout qui a trait au mariage civil obligatoire, continuent à passionner les esprits. Au point de vue de l’égalité des confessions religieuses, la Hongrie est encore soumise au même régime que notre pays avant la Révolution. C’est l’église catholique, en majorité dans le royaume, — elle compte 6 millions de fidèles contre 3 millions et demi de protestans et 600,000 israélites, — qui tient exclusivement les registres des naissances, mariages et décès. Les lois destinées à remplacer ce système par un autre, analogue à celui qui fonctionne dans tout le continent, y compris l’Autriche, laquelle ne passe pas cependant pour un État athée, ont été votées par la chambre hongroise et n’attendent plus que la signature de l’empereur-roi, avec lequel M. Weckerlé est d’accord.

Il est assez difficile à des Français de comprendre l’explosion de colère, soulevée par la législation nouvelle dans le parti clérical de Budapesth, à la tête duquel marchent les évêques qui déclarent le projet « attentatoire aux droits les plus sacrés de l’Église. » Cette opposition, que l’on peut sans hérésie qualifier d’excessive, me remet en mémoire des plaintes bien anciennes, — elles remontent au XIIIe siècle, — adressées par les prélats français au souverain alors régnant, et qui méritent d’être signalées à François-Joseph : « Sire, disaient-ils, par la bouche de l’évêque d’Auxerre, ces seigneurs, qui sont ici, archevêques et évêques, m’ont chargé de vous dire que la chrétienté périt entre vos mains. — Le roi se signa et dit : Or, dites-moi, comment cela ? — Sire, c’est qu’on fait si peu de cas aujourd’hui et tous les jours des excommunications… » C’est Joinville qui conte l’entrevue, et le prince auquel les évêques reprochaient de laisser ainsi périr la chrétienté entre ses mains n’était autre que… saint Louis.


Vte G. D’AVENEL.