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des forces navales que l’amirauté anglaise entretient dans la Méditerranée est demandée par le parlement britannique. C’est la conséquence de l’accroissement du nombre de ses navires qui sont actuellement en essais ou en armement définitif. Quelques-uns de ces cuirassés de 14,000 tonneaux seront envoyés au vice-amiral sir Michaël Seymour, le successeur de l’amiral Tryon ; d’autres seront affectés à l’escadre de la Manche. Ces mesures ont pour but la réalisation des plans de la Grande-Bretagne. Lord Sudeley ne demandait-il pas très ouvertement à Westminster, au mois de juin dernier, « qu’une législation immédiate intervînt afin de donner à l’Angleterre la suprématie complète sur les mers ? » À quoi lord Playfair répondait, au nom du gouvernement, « qu’il n’était ni nécessaire, ni désirable, de faire continuellement savoir aux nations étrangères que l’Angleterre entend dominer sur les mers. »

Il n’est pas, en effet, nécessaire de le dire ; il suffit de s’efforcer d’y parvenir. C’est ce qu’on fait de l’autre côté du détroit. Et on le fait précisément pour n’avoir besoin de personne. Tous les efforts de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie qui, par la voix de leurs diplomates, par la plume de leurs publicistes, veulent persuader au royaume-uni de se rapprocher de la triple alliance, se briseront contre ce fait qu’une telle politique serait contraire aux intérêts anglais, et qu’il n’y a pas d’exemple, depuis plusieurs siècles, que l’Angleterre ait agi dans un sens contraire à ses intérêts.

Ce que nous en disons ne comporte aucune idée de blâme. Ne sont-ce pas des intérêts communs qui unissent présentement la France et la Russie ? Dans la bouche de ceux de nos compatriotes, en petit nombre d’ailleurs et de modeste importance, qui critiquent actuellement l’alliance franco-russe, n’est-ce pas un plaisant reproche que celui qu’ils adressent au tsar de n’y chercher point autre chose que « la satisfaction de ses intérêts personnels ? » Comme si la bonne politique pouvait se fonder sur autre chose, et par exemple sur des sentimens ou sur des idées ! N’en avons-nous pas fait, hélas ! la cruelle expérience ?

Il en est de même de ceux que choque le rapprochement d’une république démocratique et d’un monarque absolu. Au temps lointain où, — la première en date parmi les puissances catholiques, — sous François Ier, la France fit amitié avec la Sublime-Porte, il y eut aussi des gens qui s’étonnèrent que le roi très chrétien devînt l’allié du « Turc. » Il y en eut d’autres, au siècle suivant, qui reprochèrent à Richelieu de s’unir à la Suède protestante contre le saint-empire de la maison d’Autriche, et à Mazarin de s’associer intimement avec Cromwell contre l’Espagne, moins de sept ans après que Charles Ier avait porté sa tête sur l’échafaud. Toute l’histoire diplomatique est pleine de précédens beaucoup plus extraordinaires que n’en offre la diversité actuelle de constitution entre la France et la Russie.