Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/934

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Proficiscere, anima christiana !

À chaque oraison, le pape, tenant toujours sa main blanche sur le front de Pia, répondait :

Amen !

Mais Pia n’entendait ni la voix du cardinal, ni le chant sépulcral des moines, ni la plainte de l’orgue, ni la cloche d’agonie. Elle ne voyait que le navire qui venait droit à elle, dans la lumière joyeuse du ciel de mai.

C’était une haute galère de Venise, dont les voiles, déchirées par la tempête, pendaient en lambeaux, dont le grand mât, rompu, portait, au bout d’une lance, l’étendard rouge de saint Marc, avec le lion qui tient sous ses griffes le livre ouvert de l’Évangéliste. Elle voguait, d’une marche presque insensible, grâce à la brise printanière et à la manœuvre de ses dernières rames.

À son tour, Joachim attachait ses regards au navire. Celui-ci venait peut-être d’Orient, ramenant un pèlerin qui aurait entendu quelque part, au fond d’un cloître de Syrie ou sur les rives du lac de Galilée, le nom du fiancé perdu. Et l’évêque, saisi par une angoisse mystérieuse, voyait marcher sur la mer l’étendard de saint Marc, tel qu’une fleur de pourpre balancée par les flots bleus.

Le cardinal avait fermé son bréviaire. L’âme chrétienne était maintenant libre de monter à Dieu.

À ce moment, parvint à l’oreille du pontife, de Pia et de Joachim un chant grave, un chant viril qui sortait de la mer, plus sonore et plus pénétrant que la psalmodie des moines, sous les voûtes de la cathédrale. Sur le pont de la galère, groupés autour de la bannière de l’apôtre, les matelots, les pèlerins et les marchands, que le patron de Venise avait soutenus dans la tempête, entonnaient un cantique de reconnaissance.

Le pape se souleva sur les coussins de son lit et contempla le vaisseau sacré. Déjà les navigateurs jetaient l’ancre en face du palais pontifical. Et la dernière strophe du cantique se perdait dans le ciel et sur les eaux.

— C’est une galère partie des rivages de terre-sainte, dit Joachim. Je vois des pèlerins qui s’empressent de descendre dans les barques de nos marins de Salerne. Plusieurs portent la croix couleur de sang que les jeunes chevaliers pèlerins attachent depuis quelques années à leur poitrine.

— La Palestine est bien loin et cependant ils reviennent, murmura Pia.

— Oui, répondit Grégoire, des pèlerins que l’orage a roulés sur une mer méchante. Mais ils sont au port et bien heureux. Car le port, c’est déjà la patrie. Moi aussi, pilote de l’Église, j’ai été