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chevaux destinés aux autres voyageurs, et l’escorte de chevalerie normande, commandée par Roger. On partit au pas, les chevaliers groupés autour du pontife, le long des remparts, puis, par un chemin de traverse, on gagna la voie Appia, au-dessous du tombeau de Cecilia Metella. Et sur la route funèbre, entre deux rangées de sépulcres, aux clartés scintillantes du ciel, Grégoire VII s’enfonça dans les solitudes mornes de la campagne romaine.

Au lever du soleil, le pape fit arrêter le cortège. Il sortit de sa litière, et, seul, gravit d’un pas pénible un monticule du haut duquel il voulait voir Rome pour la dernière fois. Il se tint les yeux attachés aux tours du Latran. En bas, ses compagnons de voyage assistaient avec recueillement à cette suprême entrevue. Tantôt il semblait prier, tantôt il méditait, le front incliné. Des chants d’alouettes montaient, comme des flèches sonores, vers le ciel vermeil, et la campagne, inondée de rosée et rayonnante de fleurs, luisait telle qu’un immense écrin. Pia pleurait ; Egidius, agenouillé dans la poussière de la route, murmurait son office de l’aurore. Un moment, Grégoire se tourna vers la montagne de Tivoli, résidence de l’antipape Clément et parut dessiner un geste d’anathème. Puis il se remit à contempler les campaniles de Rome et ses remparts flanqués de tours, et, tout à coup, levant le bras droit, il donna à sa ville une solennelle et dernière bénédiction pontificale :

— C’est la bénédiction de l’absoute, mes enfans, dit l’évêque d’Assise aux deux fiancés : Pater noster !

La caravane reprit, au pied de la montagne d’Albano, la voie Prénestine. À cet endroit, elle fut rejointe par un officier de Robert Guiscard, porteur d’une dépêche pour le saint-père. Le duc engageait celui-ci à s’avancer avec les plus grandes précautions. Des bandes de soldats d’aventure, détachés de l’armée impériale, rôdaient dans la campagne. Robert ordonnait à son fils d’éclairer vigilamment la marche de sa chevalerie. Il priait le pape de l’attendre quelques jours au monastère du Mont-Cassin. Il était lui-même sur le point d’abandonner le siège de Tivoli et conduirait son hôte du Mont-Cassin jusqu’à Salerne. Le premier soir, les voyageurs descendirent au palais épiscopal de Velletri, dont l’évêque était suffragant du cardinal d’Albano. Le lendemain, on se proposait de se rendre, par une marche forcée, à Anagni.

Une heure avant le coucher du soleil, la chevalerie normande venait de traverser la petite rivière, presque à sec en été, qui coule dans l’étroite et sombre vallée, dominée par cette ville d’aspect sinistre. La litière du pape et celle de Pia, suivies par les cavaliers ecclésiastiques, remontaient le long des rives, à la recherche d’un gué plus commode. Tout à coup, d’un bois de chênes proche