Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/895

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gaîté. Deux grosses larmes brillaient entre ses longs cils, mais déjà sa bouche s’épanouissait pour sourire au bonheur renaissant.

— Cher Victorien ! dit-elle tout bas, comme en un rêve ; puis, elle se tut en face de son jeune seigneur.

Après une minute de contemplation muette, Victorien essaya de sortir d’embarras et de commencer le dialogue.

— Et Fulvo, dit-il, non, je veux dire notre vénérable abbesse ?..

— Ah ! Fulvo, répondit Pia, il est dans sa maison de campagne, au fond du parc, dans les vieux murs de mon oncle. Et notre bonne dame a couru, avec son psautier, à Saint-Paul, pour voir officier le pape, à la messe des saints apôtres ; mais tous les deux se portent très bien, et aussi mon oncle.

La première, elle revenait à la familiarité du temps passé. Elle rejeta en arrière son voile de soie transparente et pencha son visage vers le visage de Victorien :

— Si vous saviez combien votre éloignement m’a fait de mal ! Mais, depuis la semaine sainte, je me trouve heureuse. Voici trois jours que nous venons ici chaque matin, le seigneur évêque et moi, pour vous attendre au passage du Tibre. L’âne qui nous suit porte les provisions. On déjeune sous les arbres. Aujourd’hui, ce sera, entre nous trois, une fête plus belle que chez les apôtres.

— Si nous allions au secours de Joachim ? dit le jeune baron. Je vois que le petit guide de votre âne a beau secouer la bride de la pieuse mule, la bête demeure inébranlable.

L’évêque, impatient d’embrasser son pupille, mettait pied à terre, opération qui décida l’ingénieuse monture à marcher gravement au bord du Tibre, tout en goûtant çà et là aux touffes d’herbe assaisonnées de thym.

— Mon pauvre enfant ! cria-t-il de loin, que vous avez tardé ! Que Dieu soit béni pour votre retour !

Il le serrait entre ses bras et pleurait.

— Le beau chevalier, Pia, ma fille ! mais elle aussi, Victorien, elle a grandi tout en vous attendant. Une petite madone blonde, aux yeux noirs. Descendez de votre mule, Pia, afin qu’il voie mieux combien vous êtes gracieuse. Victorien, aidez Pia à descendre.

Elle appuya son petit pied dans la main du jeune homme et sauta à terre avec la prestesse d’une hirondelle. La chevelure, tout d’un coup déployée, enveloppa la face de l’écuyer d’une caresse odorante.

— Maintenant, à table, dit l’évêque. Je récite d’avance le Benedicite.