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trois parcelles, placées dans le même sol, à côté les unes des autres ? comment concevoir que la récolte qui a reçu du nitrate de soude soit double de celle qu’ont fournie les sels ammoniacaux, bien que les quantités d’azote distribuées aient été égales ? Pour le savoir, on fouilla le sol et on prit des échantillons des diverses couches de terre jusqu’à 1m,30 ; on reconnut que la terre de la parcelle sans engrais n’était desséchée que dans les premières couches de 22 centimètres, seules parcourues par les racines ; on n’y trouvait plus que 10 centièmes d’humidité, contre 13 et 12 accusés par les parcelles voisines ; mais les différences étaient en sens inverse pour les couches profondes ; tandis que déjà à 60 centimètres on trouve près de 23 centièmes d’humidité dans la terre sans engrais, le sol amendé avec le sulfate d’ammoniaque n’en renferme plus que 19 et la terre au nitrate de soude 16 ; à un mètre de profondeur, la couche sans engrais renferme 24 centièmes, celle des sels ammoniacaux 20,5 et enfin celle au nitrate de soude 17.

On pouvait facilement reconnaître que ces dessiccations si différentes étaient dues à l’absence ou à l’arrivée dans les couches profondes des racines des plantes de la prairie ; plantes qui, au reste, n’appartenaient pas aux mêmes espèces.

Pour bien comprendre quelle a été l’issue de la lutte pour la vie qui s’établit entre les différentes espèces qui peuplent les parcelles de la prairie de Rothamsted, il faut se rappeler que les sels ammoniacaux sont très bien retenus par les propriétés absorbantes des terres arables, tandis que ces propriétés ne s’exercent pas sur le nitrate de soude. Si on fait filtrer, au travers d’une couche de terre contenue dans un entonnoir, une dissolution de sels ammoniacaux dont on connaît la richesse, on trouve que cette dissolution s’est appauvrie par son passage au travers du sol ; si on opère de même avec une dissolution de nitrate de soude, on ne remarque aucun changement. Tandis que la plus grande partie des sels ammoniacaux distribués comme engrais persistent dans les couches superficielles, les nitrates s’enfoncent plus profondément, et on conçoit, dès lors, que la flore des parcelles au nitrate diffère de celle des terres qui reçoivent les sels ammoniacaux. Les espèces qui ont une tendance à former de longues racines sont favorisées par l’emploi du nitrate de soude, qui rejoint dans les couches profondes les filamens que ces espèces y envoient ; sous l’influence d’un engrais approprié à leur structuro, ces espèces deviennent vigoureuses, et finissent par éliminer les plantes incapables de profiter des nitrates qui ont pénétré dans le sous-sol. Réciproquement, les espèces à racines superficielles prospèrent dans les parcelles à sulfate d’ammoniaque.