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n’était pas déraisonnable, cependant, de compter sur un rapide accroissement du chiffre des habitans. De fait, en 1871, la population était de 194,000 âmes ; elle avait augmenté, en sept ans, de plus de 60 pour 100. Mais les charges s’étaient accrues plus vite encore. De 1847 à 1858, les travaux publics avaient coûté en tout six millions ; ils en coûtèrent plus de vingt-six de 1865 à 1869. En 1864, le budget se soldait par un excédent, et le total des dépenses montait à 11 millions ; en 1869, les recettes étaient de 24,362,502 francs, les dépenses de 25,281,707[1].

C’était aller vite en besogne. Pourtant les travaux paraissent bien avoir été conduits avec toute l’économie que comportaient les exigences du public et l’impatience du gouvernement. Si Florence était restée capitale, il n’est pas douteux qu’elle eût pu faire face à ses affaires. Mais survinrent les événemens du 20 septembre 1870. Florence, retombée au rang de simple ville de province, avait contracté, en vue de travaux devenus en partie inutiles, des engagemens auxquels elle ne pouvait se dérober. Elle ressemblait, comme le disait plus tard Peruzzi dans une vive image, « à un homme qui passe un torrent tranquille ; à mi-chemin, il est surpris par une crue ; s’il retourne en arrière, il s’expose à une mort certaine ; s’il s’élance hardiment en avant, il a au moins l’espoir de gagner le rivage[2]. »

Depuis assez longtemps, Peruzzi exerçait en fait les fonctions de syndic, sans avoir voulu en accepter le titre, qu’on lui avait offert plus d’une fois. Il s’y décida quand les circonstances devinrent critiques. Le mérite et l’initiative des travaux commencés lui appartenaient pour une bonne part ; il se crut engagé d’honneur à continuer son œuvre. On pense bien qu’il n’eut pas de compétiteur. Deux partis s’offraient à lui : on pouvait arrêter brusquement les travaux ; mais c’était sacrifier les sommes déjà dépensées et qui l’auraient été en pure perte. On pouvait les continuer avec la plus grande économie, en faisant subir de fortes réductions aux devis primitifs. Ce fut cette seconde solution qu’il préconisa dans le conseil communal. À ce moment, rien n’était encore désespéré. Le nouveau syndic comptait sur une indemnité nationale analogue à celle qu’on avait jadis votée pour Turin ; Victor-Emmanuel lui-même avait promis de défendre la cause de Florence dans la mesure où le lui permettrait son rôle de roi constitutionnel. Il avait foi dans le crédit d’une ville qui avait derrière elle un pareil

  1. J’emprunte ces chiffres à un article de M. Genala, la Questione di Firenze e il modo di risolverla (Nuova Antologia, 1878). — Cf. de Laveleye, Lettres d’Italie, p. 108.
  2. Jarro, Vita di Ubaldino Peruzzi, p. 197.