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d’État et que catholiques et libéraux n’auraient point à en souffrir. « La violation par la force militaire de la constitution d’un pays, écrivait-il, est toujours une grande calamité publique, qui prépare pour l’avenir de nouveaux coups de fortune, et l’avilissement progressif de l’ordre social. Rien ne contre-balance la violation de l’ordre moral sur une grande échelle. Le succès même fait partie du fléau ; il enfante des imitateurs qui ne se découragent plus. Le scepticisme politique envahit les âmes, et elles sont toujours prêtes à livrer le monde au premier parvenu qui leur promettra de l’or et du repos. »

Quelle était donc l’attitude que Lacordaire souhaitait de voir adopter par l’Église vis-à-vis de ce gouvernement nouveau, le troisième à l’avènement duquel il assistait ? De la séparation absolue à laquelle il avait poussé en 1830, de la domination qu’il avait rêvée en 1848, il ne pouvait plus être question. Ce qu’il aurait voulu,. c’est que, tout en reconnaissant le gouvernement qui était incontestablement accepté par la majorité du pays, tout en s’acquittant, correctement des devoirs que le concordat lui imposait, le clergé français ne fît point sienne la cause de ce gouvernement, et qu’il prît vis-à-vis de lui l’attitude d’une respectueuse indépendance, de façon que l’Église ne fût ni compromise par ses fautes, ni ébranlée par sa chute. Il aurait voulu surtout que rien ne sentît la, servilité ni la palinodie, et que l’Église ne semblât pas prendre parti contre les vaincus. On peut juger de l’attitude qu’il aurait souhaité lui voir garder par celle qu’il prescrivait à son ordre. À propos d’une cérémonie officielle qui devait avoir lieu peu de temps après le coup d’État, voici ce qu’il écrivait au supérieur d’une des maisons fondées par lui « Nous devons en pareille circonstance faire le strict nécessaire et rien de plus ; le nécessaire, parce que la neutralité est notre principe en politique ; rien de plus, parce que la dignité, le respect de toutes les convictions honnêtes, sont un autre principe qui nous dirige et doit nous diriger constamment. »

Pendant quelques mois, il put espérer que cette attitude serait bien celle de l’épiscopat français. Sans doute, dans un journal religieux qui commençait dès lors d’exercer une influence considérable, une voix éloquente avait adressé aux catholiques un pressant appel, pour leur demander de prêter au prince-président le concours de leurs voix dans le plébiscite du 20 décembre. Mais ce n’était qu’un conseil politique donné par un laïque à des laïques. Les évêques se tenaient sur une grande réserve. Cinq d’entre eux seulement s’étaient prononcés dans le même sens, mais avec beaucoup de mesure. Il n’en fut pas de même lorsque 7 millions de suffrages eurent montré la force du nouveau pouvoir et fait