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pacifiques de la vie religieuse avec les devoirs difficiles et sévères de représentant du peuple. » Et il ajoutait dans sa lettre à ses électeurs : « Je compris que dans une assemblée politique l’impartialité conduisait à l’impuissance et à l’isolement, qu’il fallait choisir son camp et s’y jeter à corps perdu. Je ne pus m’y résoudre. Ma retraite était dès lors inévitable, et je l’ai accomplie. »

À distance, l’aveu d’une erreur grandit un homme. Au moment même elle le diminue. Lacordaire avait le sentiment de cette diminution. Il en prenait son parti non sans souffrances, mais avec une humilité touchante. « Il est très dur, écrivait-il, de paraître manquer de conséquence et d’énergie, mais il est bien plus dur encore de résister aux instincts de sa conscience. Je n’aurais jamais cru avoir tant d’horreur de la vie politique. Je ne me suis trouvé qu’un pauvre petit moine, et pas du tout un Richelieu, un pauvre petit moine aimant la retraite et la paix. » Mais le moment de la retraite et de la paix n’était point encore arrivé pour lui. Il ne devait connaître sinon la paix, du moins la retraite, qu’après une dernière expérience. En 1830, il avait essayé pour l’Église du remède sublime de la séparation. Le remède avait échoué, ou plutôt n’avait même pas pu être appliqué. Un instant il avait pu croire qu’elle allait exercer sur le peuple une domination librement acceptée. L’espoir s’était évanoui. Avant de mourir, il devait avoir la douleur de la voir retourner d’elle-même au culte du pouvoir absolu.


IV.

Durant toute la durée de l’assemblée nationale et de l’assemblée législative, Lacordaire se tint soigneusement à part des agitations de la vie publique. Il ne se sentait en communion d’idées avec personne et ne voulait être classé dans aucun parti. Il avait cessé de croire à la possibilité d’une république démocratique et catholique. Aussi se sépara-t-il de ses collaborateurs de l’Ère nouvelle, aux yeux desquels il n’était plus ni assez démocrate, ni assez républicain. Peut-être cependant, dans la crainte de froisser ses anciens collaborateurs, ne le fit-il pas assez complètement, et il continua de porter trop longtemps encore aux yeux de ses amis la responsabilité des exagérations démocratiques auxquelles allait se livrer ce journal. Mais en même temps il ne voulut point se mêler à l’action de ceux d’entre eux qui cherchaient déjà dans la réconciliation des deux branches de la maison de Bourbon, dans ce qu’on appelait alors la fusion, un remède aux périls que tout le monde prévoyait. Les catholiques avaient, dans un premier moment d’enthousiasme,