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sacré. Mais devant la cour il crut devoir s’expliquer. « Ce qui s’est passé, dit-il, entre Dieu et moi, dans le secret de ma conscience est un mystère dont je ne dois compte qu’à lui, et à ceux en qui j e reconnais la mission de parler pour lui. » Mais, sur le fond même de la question, il acceptait le débat et il l’élevait aussitôt à la hauteur d’une discussion philosophique. « Qu’est-ce qu’un prêtre ? disait-il. Un prêtre est un homme qui raconte aux hommes la parole de Dieu et qui la bénit en son nom… Le prêtre est l’homme de cette parole ; sa fonction est de la redire. De qui tient-il cette fonction ? De celui-là seul qui a pu la lui donner : de Dieu. Or Dieu ne fait pas de fonctionnaires publics. Il fait des hommes. Le prêtre ne tient son titre que de Dieu et de sa conscience, parce qu’il ne tient sa foi que de Dieu et de sa conscience. Je sais bien qu’il fut des temps où, la foi des hommes était justiciable de la loi, où la liberté de conscience n’existait pas dans le monde. Mais ces temps ne sont plus. Après plusieurs siècles de combats, le sang des peuples et la charte de France ont fondé la liberté religieuse ; elle est impérissable. Dieu est devenu libre de la liberté du citoyen ; nous n’en réclamons pas d’autre pour lui ; nous désirons seulement qu’il soit citoyen de France. »

Ici quelques murmures partirent de l’auditoire, qui était, cette fois, peu favorable à Lacordaire, et qui semblait scandalisé de la hardiesse de cette parole. Sans rien perdre de son sang-froid, il se retourna vers ses interrupteurs, et leur lança cette apostrophe « Messieurs, si je connaissais un plus beau titre au monde que celui de citoyen de France, un meilleur moyen d’être libre que de le porter, je le donnerais à celui qui a bien voulu être l’esclave des hommes pour leur acquérir la liberté. » Reprenant ensuite son argumentation, il démontra que ni le concordat, ni le code pénal, ni telle ou telle disposition spéciale à l’Université n’avaient pu altérer le caractère du prêtre d’être un homme privé, et il terminait en disant : « Je réclame pour moi, messieurs, ce titre sublime ; je le défendrai comme ma propre vie, comme mon honneur, comme l’honneur de tous ceux qui le portent avec moi. »

La cour de Paris ne se rendit ni aux raisonnemens juridiques du ministère public, ni à l’éloquence enflammée de Lacordaire, et elle persista à déclarer qu’un aumônier est un fonctionnaire public. Mais, quelques mois après, un arrêt de la cour de cassation, rétablissant la véritable doctrine, cassait un arrêt rendu par la même cour de Paris dans une affaire semblable, et proclamait que le prêtre n’est pas un fonctionnaire. M. Dupin, qui était alors procureur-général, avait conclu nettement dans ce sens.

Lacordaire eut encore une occasion retentissante de discuter devant les tribunaux une question à laquelle les années écoulées n’ont