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monde les idées représentées par Lacordaire et celles représentées par le Globe, on peut se rendre compte de quel côté étaient la justesse du coup d’œil et la vérité.

Il était rare cependant que Lacordaire choisît pour texte de ses articles des questions d’une nature aussi abstraite et aussi vague. Il préférait en demander l’occasion aux menus faits de la politique courante et il déployait dans sa polémique, en quelque sorte quotidienne, tout l’art du journaliste, qui consiste à s’emparer d’un incident, à le grossir parfois en le dénaturant, et à en tirer argument au profit de sa thèse du jour. Ce qui préoccupait surtout Lacordaire, à ce moment, ce qui inspirait suivant les circonstances sa passion ou sa verve, c’étaient les relations du clergé avec le gouvernement nouveau, relations qui suscitaient à chaque instant des difficultés et des conflits. La presque totalité du clergé avait vu avec défaveur la révolution de juillet, et il faut avouer que ce sentiment était de sa part assez naturel. Ainsi que l’a dit, dans sa belle histoire, mon éminent confrère, M. Thureau-Dangin, « dans les journées de juillet, l’Église sembla vaincue au même titre que la vieille royauté, et l’irréligion victorieuse au même titre que le libéralisme. » Mais, vaincue ou non, l’Église avait reconnu le gouvernement nouveau, comme avaient fait les autres gouvernemens de l’Europe. Le concordat n’était pas rompu et le même lien unissait toujours l’Église à l’État. Quelle attitude devaient donc prendre les ministres de l’Église et quels étaient les droits du gouvernement ?

Le gouvernement exigeait qu’évêques et curés, quels que pussent être leurs sentimens intimes, n’eussent pas vis-à-vis de lui une attitude factieuse (ce qui était le cas de quelques uns) et qu’ils s’acquittassent vis-à-vis de la royauté nouvelle des devoirs dont ils s’acquittaient vis-à-vis de la royauté ancienne. Assurément la prétention n’avait rien d’excessif, mais la forme sous laquelle cette prétention se traduisait n’était pas toujours très heureuse. C’est ainsi que dès le lendemain de la révolution de juillet s’était posée la question des prières pour le roi. Nombre d’évêques n’entendaient pas qu’on priât pour LouisPhilippe dans leurs diocèses, On priait dans tel département et pas dans tel autre. Parfois, dans le même diocèse, l’office variait de paroisse à paroisse. Tel curé faisait chanter le Domine salvum, tel autre s’y refusait, et il arrivait dans certaines communes que les fidèles contraignaient les chantres à l’entonner malgré le curé. Ou bien au contraire, le Domine salvum fac regem était chanté avec une telle affectation, qu’il n’y avait pas à se méprendre sur le roi pour lequel on entendait prier. Dans les premiers jours de son